Résumé : Il n’a jamais gagné d’Oscar et n’a pas toujours obtenu les faveurs du public. Sa filmographie est courte et inégale. Pourtant, nombre de cinéphiles et de grands cinéastes actuels – comme Tarantino ou Scorsese – se réclament de Sam Peckinpah. Il manquait un ouvrage capable de traverser toute son oeuvre.
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Signalons d’abord que Sam Peckinpah répond vraiment à un manque : la publication en langue française d’un ouvrage capable d’éclairer les différentes facettes d’un réalisateur majeur du cinéma américain. En cela, le choix de la forme collective se révèle judicieux, permettant d’embrasser l’ensemble de la carrière de Peckinpah selon des perspectives différentes mais convergentes. Ce livre profite aussi de la rétrospective dédiée au cinéaste organisée par le Festival de Locarno cette année, en association avec les Cinémathèques Suisse et Française. Aux trois études générales, réparties selon un ordre chronologique (les premiers films, les classiques, les derniers films), s’ajoutent ainsi différents entretiens (de Peckinpah himself, de Gordon T. Dawson, bras droit du réalisateur de 1965 à 1974, et du musicien-acteur Kris Kristofferson). Des résumés de tournage, des documents inédits (voir la très belle critique d’Un nommé Cable Hogue signée Samuel Fuller), de nombreuses illustrations en noir et blanc et couleurs ainsi que deux autres études, offrent des compléments idéaux à cette précieuse monographie. Formé à la télévision, Peckinpah est aujourd’hui considéré comme le spécialiste de la violence au cinéma. À la fois figurée (thèmes et schémas narratifs) et figurale (le ralenti et le montage, principaux instruments de son style visuel), cette dernière travaille le fond et la forme de ses films, et devient un motif central de sa mise en scène à partir de La Horde Sauvage (1968). Bien que stylisée, la représentation de la violence prend ici une valeur critique, évitant l’écueil de la gratuité ou les facilités du solipsisme.
Si les entretiens et documents de tournage fourmillent d’anecdotes sympathiques permettant d’entrevoir la complexité du personnage Peckinpah, ce sont bien les études menées par Chris Fujiwara, Emmanuel Burdeau, Carlo Chatrian, Christophe Huber et Jean-François Rauger qui font le prix de cet ouvrage pluriel. Thématique, esthétique ou contextuelle (voir les trois dans le cas de l’excellent essai d’Emmanuel Burdeau), les analyses retrouvent ce « monde des spectres » décrit par Fernando Ganzo, maître d’oeuvre du collectif, dans sa très belle introduction. Chez Peckinpah, corps et rythmes déconstruisent les mythes tout en reconduisant certains gestes hérités du classicisme. Un paradoxe que relativisent ces cinq études, productrices d’un discours permettant le passage du singulier (une image, une séquence) au général (un corpus de films, une interrogation sur le classique et le moderne). Après Alfred Hitchcock (L’oeil domestique. Alfred Hitchcock et la télévision, publié en 2014 chez Rouge Profond), Jean-François Rauger poursuit, quant à lui, son analyse des rapports entre cinéma et télévision, une étude conclusive dont le double mérite est d’éclairer à la fois les fonctionnements du médium télévisuel de l’époque, et un pan de la carrière de Peckinpah encore trop peu connu du public contemporain. Si la filmographie détaillée est bienvenue, indexes et bibliographie manquent cependant à l’appel.
- SAM PECKINPAH par le collectif Chris Fujiwara, Emmanuel Burdeau, Carlo Chatrian, Christophe Huber et Jean-François Rauger sous la direction de Fernando Ganzo, disponible en librairie le 4 septembre 2015 aux Editions Capricci, Hors Collection.
- 196 pages
- 23 €