Synopsis : Un truand, recherché pour avoir commis un hold-up, est abattu par la police. Sa maîtresse, Catherine, qui vient d’accoucher, se rend dans une maison de filles-mères. Elle y reçoit la visite de la police, des complices de son ami et d’une bande rivale, tous à la recherche du magot de 500 millions. Catherine affirme ne rien savoir, pourtant, à une autre pensionnaire, elle confie que la cachette existe. Se sentant menacées, les deux femmes partent à la recherche des millions.
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Souvent oublié dans la carrière de Georges Lautner, Fleur d’oseille s’impose pourtant comme l’un des films les plus importants du cinéma français des années 1960. Il propose un ton unique et ouvre la voie à un nouveau courant, celui des comédies débridées, aussi soignées sur la forme que sur le fond. Le seizième film de Georges Lautner demeure encore un chef-d’œuvre, même près de 50 ans plus tard. En adaptant une série noire, écrite par John Amila (Langes radieux), le réalisateur s’entoure de scénaristes de talent avec lesquels il a déjà collaboré comme Michel Audiard, qu’il retrouve pour la septième fois, et Marcel Jullian, après Ne nous fâchons pas. Ce dernier a été rendu aussi célèbre pour son travail sur les chefs-d’œuvre d’Henri Verneuil (Cent mille dollars au soleil) et de Gérard Oury (Le Corniaud, La Grande vadrouille). Après six collaborations marquées par autant de succès tels que Les Barbouzes, Galia et Ne nous fâchons pas, Georges Lautner offre à Mireille Darc l’un de ses rôles les plus forts dans Fleur d’oseille. Sous contrat avec la maison Gaumont, il lui confie un personnage à l’opposé de ce qu’elle avait interprété jusqu’ici ; un personnage fort de femme indépendante dans un film d’action, peu commun dans le cinéma français de l’époque. Spécifiquement écrit pour elle, Michel Audiard et Georges Lautner soignent ainsi chaque dialogue élégamment, pour son phrasé, son ironie et sa délicatesse. Fleur d’oseille n’appartient à aucun genre répertorié, c’est un merveilleux mélange subtil d’histoire d’amour platonique entre deux femmes, de film policier, de comédie et de western rural. De nombreux réalisateurs se sont inspirés de l’univers de Georges Lautner comme Eric Rochant pour Total Western, et même Quentin Tarantino qui voue un culte à La Route de Salina en 1970. Ce dernier avait d’ailleurs invité le réalisateur sur la Croisette lorsqu’il était Président du jury du Festival de Cannes en 2004, afin de lui rendre un hommage bien mérité.
Fleur d’oseille s’impose ainsi progressivement comme un véritable western, jouant habilement avec les codes mis en place par Howard Hawks pour Rio Bravo ou encore par John Wayne dans The Alamo. Les gangsters du film de Lautner y font explicitement référence lorsqu’un d’eux entame un thème musical à l’harmonica avant la bataille finale. Le cinéaste alterne le point de vue des deux parties adverses avec un sens aigu du montage et de la narration, tout en composant des plans d’une beauté absolue, capturés par son chef opérateur complice Maurice Fellous. À l’instar des Tontons flingueurs et de Ne nous fâchons pas, Lautner enchaîne les scènes cultes avec maestria et en profite pour filmer sa muse, ainsi que la délicieuse Anouk Ferjac, sous toutes les coutures, notamment lors d’une séquence où les deux comédiennes se retrouvent nues devant la caméra… et sous le regard appétissant de Paul Préboist. Il s’agit sans doute d’un sommet d’érotisme dans la carrière du cinéaste. La première séquence située dans la gare de Montargis est également un monument du genre et l’affrontement final s’impose comme l’une des scènes-clés du cinéma de Lautner. Il signe dès lors un véritable festival de gueules cassées où la poésie et l’humour dévastateurs demeurent omniprésents. Il n’y a vraiment que chez lui où les corps des truands roulent dans les pâquerettes en silence, sous le chant des oiseaux. Les personnages taillés sur mesure renvoient aux archétypes du genre comme le dur à cuire (André Pousse, magnifique), l’allié charmeur (Henri Garcin) et le bras droit (Amidou).
Le génie des scénaristes rompt avec les clichés jusqu’au retournement final où notre héroïne prend la pétoire pour protéger son enfant. Un film « féministe » comme l’atteste l’une des répliques de Michel Audiard : « Les jules sont tous convaincus de leur supériorité. Ils nous voient toutes au garde à vous. Le pire demi-sel, le plus tocard des traîne-lattes se prend pour Scarface. Rouler des mécaniques, c’est la maladie des hommes ». Tournée sous le soleil du Midi, la seconde partie de Fleur d’oseille se passe intégralement sur le terrain de la propriété de Catherine baptisée Fleur d’épine. Pour l’anecdote il s’agissait du titre voulu par Georges Lautner, refusé par Gaumont, jugeant un jeu de mots trop cru et déplacé. Le titre Fleur d’oseille a finalement été imposé au cinéaste. Avec habileté, le réalisateur exploite à merveille son unité de lieu, de temps et d’action et dévide son histoire dans cet immense divertissement populaire qui n’a jamais été aussi moderne. Georges Lautner a signé quatre ans après une relecture de Fleur d’oseille avec Laisse aller, c’est une valse, racontant quasiment la même histoire avec une approche différente, basée sur la bande dessinée et l’improvisation.
TEST BLU-RAY : L’éditeur reprend les mêmes suppléments déjà disponibles sur le DVD sorti en mars 2009, à savoir la présentation du film par Georges Lautner (9′). Le cinéaste, disparu en 2013, passe en revue son casting tout en partageant ses souvenirs avec toujours la même émotion en déclarant que « Fleur d’oseille était une belle aventure où régnaient l’amitié et le désir de déconner ensemble sous le soleil du Midi ». Dommage de ne pas trouver d’autres bonus. Contrairement à Quelques messieurs trop tranquilles et PAS DE PROBLÈME (notre critique), Georges Lautner bénéficie ici du Cinémascope et manipule son cadre dans les moindres recoins, d’où ressortent magnifiquement les visages des comédiens, souvent filmés en très gros plans. Dès le somptueux générique aux teintes orange sur fond noir, la stabilité est de mise et la gestion du grain jamais prise en défaut. La profondeur de champ est fabuleuse et le jeu de lentilles, utilisé par le cinéaste, permet d’obtenir une netteté exemplaire de l’avant et l’arrière-plan. Les contrastes ne sont donc pas en reste et l’image fourmille de détails confondants : les couleurs sont brillamment saturées, les noirs abyssaux, les blancs cassés de l’hôpital rivalisent d’éclat avec les ambiances nocturnes, caractérisées par les couleurs mauve et rose. Enfin, le repaire de Catherine est mis en valeur par une saisissante luminosité, renforcé par un magnifique 16/9. Non seulement Fleur d’oseille est un véritable chef-d’œuvre mais la restauration en haute-définition permet aussi de le (re)découvrir comme jamais auparavant. Le cinéaste signe ici sa dernière collaboration avec le formidable Michel Magne, compositeur de Galia, Les Tontons flingueurs, Les Barbouzes, Le Monocle rit jaune et Les Bons vivants. D’emblée, la piste DTS HD Master Audio 2.0 offre un relief dynamique à la bande-originale, jamais démentie en cours de projection. Certains dialogues, probablement repris en post-synchro, se placent un cran au-dessus d’autres voix plus sourdes au cours d’un même échange. Les ambiances sont néanmoins légion ; les célèbres scènes de règlement de compte sont mises en valeur par des coups de feu tonitruants et la voix du narrateur par des graves percutants.
- FLEUR D’OSEILLE réalisé par Georges Lautner, disponible en Blu-ray le 28 octobre 2015.
- Avec : Mireille Darc, Anouk Ferjac, Henri Garcin, André Pousse, Paul Préboist, Amidou, Maurice Biraud, Renée Saint-Cyr, Dominique Zardi, Frédéric de Pasquale, Micheline Luccioni…
- Scénario : Michel Audiard, Marcel Jullian, Jean Meckert d’après le roman de John Amila
- Production : Michel Safra
- Photographie : Maurice Fellous
- Montage : Michelle David
- Décors : Jean D’Eaubonne
- Musique : Michel Magne
- Editeur : Gaumont
- Tarif : 12,99 €
- Durée : 1h50
- Date de sortie initiale : 22 septembre 1967
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