The Assassin de Hou Hsiao-hsien : critique

Publié par Antoine Gaudé le 12 mars 2016

Synopsis : Chine, IX siècle. Nie Yinniang revient dans sa famille après de longues années d’exil.  Son éducation a été confiée à une nonne qui l’a initiée dans le plus grand secret aux arts martiaux. Véritable justicière, sa mission est d’éliminer les tyrans. À son retour, sa mère lui remet un morceau de jade, symbole du maintien de la paix entre la cour impériale et la province de Weibo, mais aussi de son mariage avorté avec son cousin Tian Ji’an. Fragilisé par les rebellions, l’Empereur  a tenté de reprendre le contrôle en s’organisant en régions militaires, mais les gouverneurs essayent désormais de les soustraire à son autorité. Devenu gouverneur de la province de Weibo, Tian Ji’an décide de le défier ouvertement. Alors que Nie Yinniang a pour mission de tuer son cousin, elle lui révèle son identité en lui abandonnant le morceau jade. Elle va devoir choisir : sacrifier l’homme qu’elle aime ou rompre pour toujours avec  « l’ordre des Assassins ».

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The Assassin de Hou Hsiao-hsien - affiche

The Assassin de Hou Hsiao-hsien – affiche

Quasiment dix ans après Le Voyage au Ballon Rouge, Hou Hsiao-hsien revient avec The Assassin, un film de chevalerie ou plus précisément un wu xia pian chinois, auquel il confère toute sa sensibilité et sa « science » cinématographique. Voir le cinéaste, dont les œuvres personnelles s’ancrent davantage dans un Taiwan contemporain –, s’attaquer à un genre traditionnel du cinéma chinois s’avère être une expérience des plus intrigantes, tant il a toujours revendiqué ses origines nationales. Il doit notamment se confronter aux codes inhérents au wu xia, ainsi qu’aux immenses cinéastes chinois (King Hu, Chang Cheh, Chu Yuan) dédiés à ce genre, y signant parfois des chefs-d’œuvre : L’Hirondelle d’or (1966), Un seul bras les tua tous (1967), A Touch of Zen (1969), Frères de sang (1973), Le sabre infernale (1976) ou encore Le tigre de Jade (1977). Prix de la mise en scène à Cannes en 2015, les premières images de The Assassin semblent porter l’exercice de style à son paroxysme, faisant de chaque plan un événement plastique, au détriment des affects et autres sentiments qui se jouent au cœur du drame. Cette impression esthétisante s’estompe rapidement pour ne plus revenir. Hou Hsiao-hsien ne cherche d’ailleurs jamais à se mesurer aux chefs-d’œuvre d’antan : The Assassin étant au wu xia pian chinois ce que Les 47 Rônins (1941) de Kenji Mizoguchi sont au film de sabre japonais ; à savoir une œuvre atypique et singulière portée par la seule grâce de son cinéaste. Et la comparaison ne s’arrête pas là.

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The Assassin

The Assassin

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Comme chez le maître japonais, les plans d’Hou Hsiao-hsien semblent extrêmement travaillés : de la lumière à la profondeur de champ, en passant par la scénographie, les rapports d’échelle et le format carré de l’image, chaque plan est ici le reflet d’une réflexion qui dépasse le plaisir contemplatif de la « belle » image. Il est intéressé par les scènes intimes, celles où « seuls les nœuds qui se nouent et se dénouent à l’intérieur des personnages donnent au film « son vrai mouvement » – pour paraphraser un certain Robert Bresson. Ses longs plans renvoient à une forme de picturalité alors que la scénographie des personnages (les entrées et sorties de champ) rappelle celle du théâtre. Alliance créatrice qui donne au cinéaste la possibilité de dilater le rythme de ces plans-séquences afin d’en faire surgir la durée intrinsèque. Car elle seule est à même de dessiner le mouvement interne des personnages ; chose impossible à déceler sur un plan d’une durée de quelques secondes. Chaque scène reflète ainsi la confrontation entre les mouvements extérieurs, effectués par la caméra, et ceux intérieurs, véhiculés par les personnages. Un tiraillement qui constitue le cœur du drame : l’humanité. Ou plutôt, l’amour enfoui de Yin-niang (Shu Qi) envers Tian Ji’an (Chang Chen) qui ne parviendra pas à s’acquérir de sa funeste mission. Chaque plan est vécu comme un tableau vivant offert au spectateur, sans que celui-ci puisse s’y repérer à l’intérieur (jamais de champ-contrechamp, seulement de légers panoramiques). D’ailleurs, la scène (de théâtre) ne se limite pas à la pièce en tant que telle, elle se déploie à l’infini ; il y a toujours une ou plusieurs ouvertures quelque part, une possibilité d’entrée et donc de surprise à venir.

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The AssassinThe AssassinThe AssassinThe Assassin

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Le changement de plan – compensé le plus souvent par un changement d’angle – marque une véritable scission dans la lisibilité du plan-séquence, provoquant un véritable « choc » visuel, comme lorsque Yin-niang espionne, nichée sur une poutre, les agissements de Tian Ji’an. Cependant, entre la picturalité des plans et la théâtralité des scènes, c’est bien le montage, tout en « rupture déterminante », et le sens de l’ellipse qui viennent tracer les principales lignes de forces dramatiques de The AssassinCette forme de représentation du monde construit un espace cérémonial, extrêmement ritualisé, qui convient parfaitement aux coutumes de l’époque et aux codes de préséance qu’imposent les titres de seigneurie. Hou Hsiao-hsien a besoin de ce rythme particulier, de cette fausse lenteur, pour rompre avec le naturel, et atteindre cette fuite du temps qui imprègne la destinée tragique de chacun des personnages. Des personnages statufiés, déjà morts, tous rendus immobiles par la mise en scène et dont seule l’âme de Yin-niang semble en mesure de changer la donne.

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À l’opposé de sa maîtresse-nonne, elle apparaît virevoltante, insaisissable et se dérobe subtilement dans chaque plan : elle n’est jamais totalement sur scène, mais toujours en coulisse, sur un toit ou une poutre, dans l’ombre ou bien en retrait. Véritable muse du cinéaste depuis Millennium Mambo (2001), Shu Qi (plus particulièrement son visage ici) contient cette candeur et cette finesse, capables de porter le geste pacifique d’un cinéaste. Elle parvient à s’opposer aux motifs et thématiques du wu xia pian traditionnel (trahison, vengeance, meurtre…) et à relancer la plus belle des traditions de ce genre, celle des dames d’épée, belles et courageuses, à l’instar de Bai Yin (Story of the sword and sabre), Nan Hong (South Dragon, North Phoenix), Chen Sisi (The Jade Bow) ou encore Xu Feng (DRAGON GATE INN – notre critique).

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Antoine Gaudé

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  • THE ASSASSIN de Hou Hsiao-hsien en salles le 9 mars 2016.
  • Avec : Shu Qi, Chang Chen, Yun Zhou, Tsumabuki Satoshi, Nikki Hsin-Ying Hsieh, Sheu Fang-Yi, Ethan Juan…
  • Scénario : Hou Hsiao-hsien, Chu T’ien-wen
  • Production : Stephen Lam, Stephen Shin, Chen Yiqi, Wen-Ying Huang
  • Photographie : Ping Bin Lee
  • Montage : Liao Ching-sung
  • Décors : Hwarng Wern-Ying
  • Compositeur : Lim Giong
  • Distribution : Ad Vitam
  • Durée : 1h45

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