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L’UN DES DERNIERS GRANDS COMPOSITEURS EN ACTIVITÉ
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Cette semaine festivalière nous a permis d’entendre trois versions différentes de Mission : Impossible. Un générique pour lequel la consigne du producteur était « en entendant le générique, au loin dans le salon, toute la maison doit accourir devant l’écran ». Mission accomplie ! C’est justement avec ce titre que se conclut le concert. Jean-Michel Bernard livre une longue introduction musicale au piano, décalée, hors sujet mais bien dans la folie ambiante de ce concert. Sublime moment, qui marque le retour sur scène du compositeur argentin, sous les applaudissements d’une salle debout, en larmes de joie.
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Il est onze heures du soir, et Lalo Schifrin, galvanisé par la musique, joue et improvise pendant près de trente minutes autour de trois thèmes : Dirty Harry, Happy Birthday et Mission : Impossible. Dirty Harry Blues est extrait du film éponyme, c’est un morceau que l’on entend dans un bar, en fond musical. Ce trio pour piano est joué ici avec Jean-Michel Bernard et son admirable contrebassiste complice, Pierre Boussaguet, qui fête par ailleurs ses 54 ans ce soir-là. Pendant 7 minutes, Lalo Schifrin improvise donc autour du célèbre thème festif pour son ami. La conclusion revient, avec le sextet au complet, pour un grand final de Mission : Impossible. Schifrin prend les commandes du morceau, indique ou laisse comprendre à chaque musicien à quel moment ils peuvent laisser parler leur talent et ajouter leur personnalité à la contribution générale. Tour à tour, clarinette, piano, trompette, batterie et percussions prennent la lumièredans un final endiablé, galvanisant, exceptionnel…
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Le lendemain, en attendant la MasterClass, Lalo Schifrin est au bar de l’hôtel qui héberge les invités du Festival. Il est bien entendu au piano, comme tous les matins pendant ses exercices. Mais cette fois c’est une leçon qu’il donne à Jean-Michel Bernard, qui le regarde comme un enfant gâté recevant trop de cadeaux en même temps. Schifrin va vite, il enchaîne les figures, les techniques, explique ce qu’il faut écouter pour réussir une impro à plusieurs et comment entrer dans le rythme. Il ne s’arrête pas, pendant une heure il joue. Schifrin ne peut vivre sans musique, il en écoute quotidiennement, il s’entraîne le matin et compose tous les après-midis. « La musique, c’est ma vie », nous dit-il. On lui montre un journal local dont il fait la Une, il est ravi mais ses doigts continuent de jouer alors que son regard parcours le quotidien posé sur le piano. Lorsqu’on lui fait remarquer sa manière de jouer l’introduction de Mission : Impossible de la seule main gauche, il sourit, comme un enfant que l’on complimente d’un bon résultat.
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Celui que l’illustre Bernard Herrmann, le compositeur d’Hitchcock, qualifiait de génie, ne compose plus pour le cinéma depuis 2007. Il reste peut-être le dernier grand compositeur vivant, avec Philippe Sarde, à savoir manier le contrepoint musical, et définir avec une précision de scalpel quel plan mérite de la musique et quel rôle doit-elle jouer avec le montage. Contrairement aux idées reçues, la musique de la poursuite en voiture de Bullitt précède la poursuite, elle la rend évidente, mais c’est la mélodie de la Ford Mustang qui prend le relais dans l’action. Il fallait résister à la tentation créative pour mieux servir le film, il a dû convaincre Peter Yates pour cela. Il n’y a presque plus de cinéastes à la hauteur de ces grandioses compositeurs, et, désormais, le cinéma à la musique qu’il mérite. Lalo Schifrin nous a offert une semaine à hauteur d’homme, durant laquelle le génie musical a côtoyé une simplicité humaine désarmante. Tout à l’air facile entre ses mains, mais les notes qui jaillissent du clavier sont le résultat d’un talent inouï, sublimé par cinquante années de pratique au service d’une carrière incroyable. Maestro…
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VIBRANTES IMPROVISATIONS À LA CINÉMATHÈQUE
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Quelques jours plus tôt à Paris, le 9 novembre, la présence de Lalo Schifrin a réchauffé la salle Langlois, à l’issue d’un montage de 8 minutes, maladroit mais efficace, qui rappelait à un auditoire, combien sa carrière est diverse et magistrale, au service de nombreux cinéastes. Pendant 45 minutes, le compositeur a répondu à des questions sur sa méthode de travail, son inspiration, et les maîtres avec lesquels il a travaillé. Costa-Gavras, au nom de la Cinémathèque et de son amour pour René Clément, dont il fut l’assistant, a rappelé avec humour et émotion le contexte de la contractation du jeune Lalo Schifrin, pour Les Félins (1964), une co-production franco-américaine dans laquelle le couple de stars Jane Fonda/Alain Delon joue à se faire peur. « René Clément voulait un compositeur hollywoodien qui parlait français », explique avec pudeur Schifrin. La vérité est plus large : son style avait tapé dans l’oreille du cinéaste français et avait réussi à l’imposer à Jacques Bar, le producteur. Lors de la post-production, on demanda à Schifrin une maquette au piano du thème principal. « Bela, la femme de René Clément, trouvait la mélodie trop plate, mais comment lui exprimer au piano l’orchestration que j’avais en tête ? ». Seule la confiance du cinéaste lui permit de remplir sa première mission et de lui ouvrir les portes d’Hollywood. « Le film me dicte la musique, je n’ai pas besoin de réfléchir. Je vois les images, et j’entends la musique et les instruments. Ensuite, c’est un simple travail de transcription ». Il le répétera à trois reprises, avec la même simplicité, la question lui étant soumise à répétition.
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L’élégance et la pudeur continuent de dicter ses réponses. Il n’a jamais eu de problèmes à travailler aussi pour la télévision. Des enjeux différents ? Selon ses propos tenus lors de l’entretien, « la musique pour le cinéma est une longue lettre manuscrite, celle pour la télévision est un télégramme ». Pas question de conclure sans un passage magique au piano, avec son complice de longue date Pierre Boussaguet à la contrebasse, pour une improvisation jazz dérivée de Dirty Harry et une fusion de deux thèmes de Mission : Impossible (The Plot et Main Title). S’il a des difficultés pour se déplacer, une fois installé au piano, ses doigts ont toujours vingt ans. La main droite sur la cuisse, seule la gauche attaque l’introduction de Mission : Impossible. La magie musicale semble être le fruit de la décontraction. Épatant. Les applaudissements ne faiblissent pas. Costa-Gavras, revenu sur scène pour raccompagner Lalo Schifrin, lui montre que le public est toujours debout et le restera encore après son départ. Un moment hors du temps.
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ÉMOTIONS RETROUVÉES AU MINISTÈRE DE LA CULTURE
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Le 10 novembre, recevant des mains de la ministre Audrey Azoulay l’insigne de Commandeur des Arts et des Lettres, Lalo Schifrin a déclaré « Je ne peux pas le croire, c’est un rêve qui est devenu réalité, je suis tellement ému que lorsque je suis arrivé à Paris, j’en ai pleuré ». Dans son bureau, sur les hauteurs de Los Angeles, trône depuis des années un plan de Paris dessiné à l’encre de chine. « Il me suffisait de poser le doigt sur le dessin pour me retrouver en pensée dans une rue de Paris », a-t-il précisé. C’est à Paris qu’il a appris la musique, au conservatoire, sous la direction de Olivier Missiaen. Il reviendra souvent en France, au gré d’un festival de Jazz sur la côte d’Azur ou d’un concert au Grand Rex en 2007. Lors de ce dernier, Kyle Eastwood était dans l’orchestre à ses côtés, il l’était encore cette semaine. Car la carrière de Lalo Schifrin est indissociable du cinéma de Clint Eastwood, L’inspecteur Harry n’aurait pas eu un tel impact sans les cuivres et les percussions qui ne cherchent pas à imposer un thème musical dans cet ensemble déstructuré qui correspond au style et au caractère de son héros.
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PROGRAMME DU CONCERT – FESTIVAL DE LA BAULE 2016
Sous la direction de Jean-Michel Bernard, au piano
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- Mannix
- Luke La Main Froide (Cool Hand Luke)
- Samba Para Dos
- Le Kid de Cincinnati (The Cincinnati Kid)
- Le Renard (The Fox)
- L’Inspecteur Harry est la Dernière Cible (The Dead Pool)
- Magnum Force
- L’Inspecteur Harry (Dirty Harry)
- Les Félins – Main Title
- Les Félins – The Cat
- Tango
- Bullitt
- Mission : Impossible
Sous l’impulsion de Lalo Schifrin, au piano
- Dirty Harry Blues
- Happy Birthday (impro)
- Mission : Impossible (impro)