Sortie DVD/ Le Lys de Brooklyn de Elia Kazan : critique

Publié par Charles Villalon le 19 novembre 2016

Synopsis : New York, au début du XXème siècle. La famille Nolan vit pauvrement dans un quartier de  Brooklyn, se serrant les coudes face à l’adversité. La mort de Johnny, le père, plonge la famille dans le besoin. Pour survivre, il leur faudra du courage et de la volonté, à l’exemple de cet arbre qui parvient à s’épanouir dans la cour de leur immeuble…

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Le Lys de Brooklyn - jaquette

Le Lys de Brooklyn – jaquette

L’éditeur BQHL ressort en Master Haute Définition Le Lys de Brooklyn, premier film réalisé par Elia Kazan en 1945. À cette époque, Kazan était un metteur en scène de théâtre reconnu. Cela faisait plusieurs années qu’il était membre du Group Theatre de Lee Strasberg, où il avait été tour à tour accessoiriste, acteur, puis metteur en scène. Le Group Theatre est resté célèbre pour ses grandes pièces sociales des années trente et quarante. C’est donc sans surprise que la première réalisation de Kazan soit l’adaptation d’un best-seller de Betty Smith qui raconte la vie d’une famille pauvre dans le Brooklyn du début du siècle dernier. Le film nous fait partager l’existence de Francie Nolan, jeune fille aussi studieuse que rêveuse, interprétée par la jeune Penny Ann Gardner, dont le visage si expressif est un des atouts majeurs du film. Autour d’elle vivotent son père Johnny (James Dunn), serveur et animateur de mariage, rêveur et alcoolique ; sa mère Katie (Dorothy McGuire), esprit pragmatique et travailleuse acharnée qui maintient la famille à flot ; et son frère Neeley (Ted Donaldson), gamin débrouillard et gouailleur. Cette chronique douce-amère de la vie des Nolan ouvre une première piste dramatique dans l’opposition des deux parents ; le mari inconséquent et jamais en reste d’une belle promesse se heurtant à la dureté terre-à-terre de sa femme. Moins qu’une opposition idéologique, c’est avant tout une opposition de nature qui enferme chacun des deux époux dans une demi-solitude coupable. Jamais théorique, le film ne joue pas une vision contre l’autre mais s’attache à nous faire voir les conséquences intimes de la cohabitation de ces caractères dissemblables, devenus incompatibles. D’un côté, le père, dont le bagou n’a d’égal que l’impuissance, s’avère incapable de maintenir leur vie à la hauteur de ses enthousiasmes. De l’autre, la mère, soucieuse de toujours agir avec force et raison, sent son cœur s’endurcir contre son gré. À cet égard, la plus grande qualité du Lys de Brooklyn est sans aucun doute son caractère extrêmement émouvant. Et s’il n’est probablement pas le meilleur film de son auteur, il est sans conteste le plus bouleversant.

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Le Lys de Brooklyn

Le Lys de Brooklyn

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Impossible de résister à toutes ces scènes qui, dans la première heure – la plus réussie –, peignent à merveille les états d’âme de ces personnages, les attachements réciproques, les douleurs inavouées que trahissent brièvement les visages, mais aussi les moments de bonheur. De fait, nombreuses sont les scènes traversées par une joie profonde ; elles rendent le film remarquablement vivant. Deux raisons pour expliquer ce phénomène. C’est d’une part, grâce à la générosité de l’écriture, qui anime tous les personnages secondaires, même les plus furtifs, d’une réelle présence à l’écran ; chacun dévoilant sa part d’humanité. Mention spéciale à Joan Blondell qui, dans le rôle de la tante, illumine le film à chacune de ses apparitions. D’autre part, Kazan était sans doute le réalisateur le plus à même de donner vie au sujet. Si le livre de Betty Smith est en grande partie autobiographique, cette histoire n’est pas très éloignée de la propre expérience du réalisateur, qui a lui aussi grandi dans un quartier pauvre de New York. Bien que le tournage se soit effectué intégralement en studio, Kazan a su tirer le meilleur parti des décors pour leur insuffler une apparence de réalité saisissante.

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Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que ce film tranche de bien des manières avec le reste de la filmographie du réalisateur. Lui qui tournera presque exclusivement en décor réel par la suite a dû commencer sa carrière en composant avec les décors classiques hollywoodiens. De même, alors qu’il aura par la suite horreur de la sentimentalité, il a su ici baser sa réalisation sur la recherche de l’efficacité émotionnelle maximale pour chaque scène. Il a expliqué cette particularité des années plus tard à Michel Ciment en confiant que lors du tournage, il s’est senti isolé à Hollywood, tandis que sa famille était resté vivre à New York. C’est avant tout pour ça, évoque-t-il, qu’il a tant été touché par cette histoire d’amour filial d’une fille pour son père. La réussite de cette première partie est également due à la prestation de James Dunn en Johnny Nolan, qui décrocha l’Oscar du meilleur second rôle.

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Le Lys de Brooklyn

Le Lys de Brooklyn

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À l’instar de Smith et Kazan, son travail sur Le Lys de Brooklyn avait quelque chose d’autobiographique, car il était lui-même un acteur sur le retour porté sur la boisson. Quand son personnage disparaît, le film perd un peu de son efficacité, son moteur ; celui qui, pour le meilleur ou pour le pire, faisait naître l’émotion chez tous ses proches. Et plus profondément peut-être parce que le mouvement en est modifié. La succession des scènes ordinaires de la vie quotidienne laisse place à une narration plus nourrie, comme à marche forcée, pour parvenir à une conclusion. Cette deuxième partie compte plusieurs moments de bravoure. La scène de « réconciliation » entre la mère et la fille, quand celle-ci lui lit une composition qu’elle a écrite en hommage à son père, n’a rien à envier aux grandes scènes de la première partie. Ni celle de la remise de diplôme, apogée dramatique du film. Reste que celui-ci donne l’impression quelque peu insatisfaisante de courir après son épilogue. Le beau personnage du policier, joué par Lloyd Nolan, semble tout à coup avoir été écrit pour permettre un improbable dénouement. Quant au monologue final de Penny Ann Gardner, il n’emporte pas l’adhésion, sonnant comme un discours de circonstance. Ceci dit, ces quelques écueils dans lesquels tombe in fine cette belle adaptation n’enlève rien à la qualité de l’ensemble, brillant coup d’essai qui présage des grandes réussites à venir.

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DVD : Ce Master Haute Définition ne dispose que d’un seul bonus, mais de choix. Dans Début à Hollywood (43 minutes), Michel Ciment, face à la caméra de Noël Simsolo, évoque les circonstances qui ont amené Kazan à réaliser ce premier film. Grand spécialiste du cinéma, avec qui il a écrit un livre d’entretiens de référence (Kazan par Kazan, aux éditions Stock), Michel Ciment nous éclaire sur le parcours du cinéaste et sur ce qui préfigure ses grands thèmes. S’il contient certaines redites pour les connaisseurs du cinéaste, ce documentaire est une porte d’entrée passionnante dans l’univers d’Elia Kazan.

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Charles Villalon

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  • LE LYS DE BROOKLYN (A Trees Grows in Brooklyn) réalisé par Elia Kazan, disponible en DVD Haute Définition depuis le 16 novembre 2016.
  • Avec : Dorothy McGuire, James Dunn, Peggy Ann Garner, Joan Blondell, Lloyd Nolan, James Gleason, Ruth Nelson, John Alexander…
  • Scénario : Frank Davis et Tess Slesinger, d’après le roman de Betty Smith 
  • Production : Louis D. Lighton
  • Photographie : Leon Shamroy
  • Montage : Dorothy Spencer
  • Décors : Thomas Little
  • Costumes : Bonnie Cashin
  • Musique : Alfred Newman
  • Distribution : BQHL
  • Tarif : 14,99 euros
  • Durée : 2h03
  • Sortie initiale : 28 février 1945 (États-Unis), 13 octobre 1948 (France)

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