Silence de Martin Scorsese : critique contre

Publié par Antoine Gaudé le 16 février 2017

Synopsis : XVIIème siècle, deux prêtres jésuites se rendent au Japon pour retrouver leur mentor, le père Ferreira, disparu alors qu’il tentait de répandre les enseignements du catholicisme. Au terme d’un dangereux voyage, ils découvrent un pays où le christianisme est décrété illégal et ses fidèles persécutés. Ils devront mener dans la clandestinité cette quête périlleuse qui confrontera leur foi aux pires épreuves.

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Silence - affiche

Silence – affiche

Si l’on réduisait l’œuvre de Martin Scorsese à une sempiternelle relecture christique, son cinéma ne dépasserait guère les allégories de Mel Gibson (Tu ne tueras point, La passion du Christ). La force du cinéma de Scorsese réside avant tout dans l’idiosyncrasie d’un style qui assume pleinement une cinéphilie des plus iconoclastes (Kurosawa, Powell, Fuller, les séries B, la Nouvelle Vague française…). Un mélange de styles, de tons et de thèmes qui confère la diversité, la singularité et l’originalité d’une œuvre définitivement pas comme les autres, capable du pire comme du meilleur. Adaptant l’œuvre de Shusaku Endo – déjà filmé par Masahiro Shinoda en 1971 -, Scorsese s’invite au pays du Soleil Levant avec l’héritage culturel, artistique et bien sûr cinématographique que cela implique. La rencontre paraît presque idoine tant le cinéma de Scorsese affectionne la violence rituelle, quasi autopunitive, circonscrite dans un espace codé que lui procure la répartition des classes à l’époque féodale. Offrir son archétype héroïque dans un tel décorum devait logiquement engendrer son quota de scènes d’aliénation et de violence gratuite et sadique. Fort heureusement, Silence n’est pas l’exutoire ni la promesse sadomasochiste que l’on craignait. Mais c’est peut-être pire. Chez Scorsese, ce sont les épreuves physiques et spirituelles auxquelles sont soumis ces héros qui enclenchent l’aspect réflexif de ces films. Pour saisir les deux points de vue – celui du héros chrétien (Andrew Garfield en Père Rodrigues) et celui des bouddhistes japonais –, rappelons que la morale japonaise est une « morale de la honte » tandis que celle de l’Occident chrétien s’avère être une « morale du péché », pour reprendre l’opposition faite par Ruth Benedict (Le chrysanthème et le sabre).

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Andrew Garfield et Adam Driver - Silence

Andrew Garfield et Adam Driver – Silence

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Et c’est sûrement là que Scorsese rate le coche, car cette opposition passe au travers de personnages annexes, quasi anecdotiques. Son héros, interprété par un Garfield trop lumineux, en serait presque épargné. C’est avec le personnage du guide Kichijiro (Yôsuke Kubozuka) et celui de l’interprète (l’excellent Tadanobu Asano) que le cinéaste travaille profondément la question du religieux et de l’histoire. Le premier est un japonais chrétien qui ne fait qu’abjurer pour sauver sa peau et pour mieux demander pardon au premier Père qu’il voit. Pathétique et antipathique, il expose les limites d’une morale du péché. Le second est un japonais bouddhiste qui raconte au Père Rodrigues que les premiers missionnaires n’ont jamais cherché à comprendre la culture et la langue japonaise. Ils sont arrivés en conquérants, prêts à tout évangéliser alors que la civilisation japonaise existait depuis longtemps, ayant de profondes racines et ces propres religions (bouddhisme, shintoïsme et confucianisme). De peur de voir l’expansion de l’Occident progresser sur leur terre, ils ont appliqué une politique isolationniste, le fameux sakoku (pays fermé) qui a engendré trois cents années de paix. La première réponse fut l’expulsion des missionnaires, puis l’exécution ne tarda pas. D’ailleurs, l’attitude du Père Ferreira (Liam Neeson), qui s’abjura et collabora en écrivant des pamphlets contre sa propre religion, fut loin d’être un cas isolé. Pourtant, après vingt années de vie au Japon, Père Ferreira tient un discours sincère sur la religion bouddhiste, sur la primauté à la nature, à une Vérité multiple.

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Yosuke Kubozuka - Silence

Yosuke Kubozuka – Silence

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On entrevoit une liberté de l’esprit, une acceptation de soi et de l’autre. Mais Scorsese ne peut s’empêcher de le montrer comme un prisonnier dont le comportement est sacrificiel, à l’image du dernier plan du film. On a l’impression d’un lavage de cerveau, réduisant le Japon à un marécage où rien de bon ne pousse. Il n’y en a que pour la critique du système féodal, et rien pour la religion. Lorsqu’on observe les scènes de torture et d’humiliation que subissent les chrétiens (la fosse, la mer qui monte, le fumi-e, poser le pied sur un emblème christique), elles sont toutes horribles et cruelles. Les Japonais apparaissent comme des sadiques. Mais les missionnaires sont-ils montrés comme des lâches ? Pourquoi Père Rodrigues a-t-il besoin d’entendre la voix de Dieu lui dire de mettre son pied sur son visage pour sauver ces pauvres gens ? L’aurait-il fait sans cela ? Dans le film datant de 1971, Shinoda ne le faisait pas parler lors de cette scène et le propos se permettait d’être doublement plus libérateur se concluant par le Père Rodrigues couchant avec une femme. Les pamphlets qu’il écrit sur les dangers du catholicisme ont tout de l’ultime sacrifice pour l’humanité chrétienne, du moins ce qu’il en reste. De ce constat, la religion catholique en sort grandie.

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Liam Neeson - Silence

Liam Neeson – Silence

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Le film avait pourtant montré les prémisses d’une critique, d’un véritable « silence » de Dieu, incapable de s’émouvoir ou de protéger ces pauvres gens. Père Rodrigues remet en doute son Dieu, juste bon à partager la souffrance des hommes. L’idée que les paysans chrétiens vénèrent uniquement la figure du Père Rodrigues, non les lois du Seigneur, ouvre à plusieurs questions. Mais Scorsese ne les approfondit que très partiellement, la démence de son héros n’étant seulement qu’évoquée par l’idée du reflet dans le cours d’eau. Alors qu’il nous avait habitués à filmer les excès propre à l’homme, à sa condition animale, à ses pulsions les plus pervers, Scorsese ne livre ici qu’une belle âme, une belle personne. Les vrais excès sont du côté du guide Kichijiro, de l’Inquisiteur Inoue (incroyable Issei Ogata) et du Père Garupe (le génial Adam Driver) qui plonge littéralement dans l’eau, quitte à mourir, pour conserver le masque de sa religion. Trop respectueux, Scorsese revêt son film d’une mise en scène académique qui ferait finalement presque son âge. Exit le montage frénétique, la voix-off complice, l’énergie étourdissante des mouvements de caméra, Silence fait dans le sobre et le solennel. Un hiératisme religieux de circonstances, peut-être. L’influence d’une esthétique japonaise, tant scénographique que temporelle, davantage basée sur la fulgurance et le vertical. Et l’indéniable beauté plastique – la photo de Rodrigo Pieto et les costumes de Dante Ferretti –  n’enlève en rien tout le consensus que propose le film.

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>> Critique POUR de Silence de Martin Scorsese <<

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  • SILENCE de Martin Scorsese en salles depuis le 8 février 2017.
  • Avec : Andrew Garfield, Liam Neeson, Adam Driver, Tadanobu Asano, Yôsuke Kubozuka, Yoshi Oida, Shinya Tsukamoto, Issey Ogata, Ciarán Hinds…
  • Scénario : Jay Cocks, Martin Scorsese d’après l’œuvre de Shusaku Endo
  • Production : Martin Scorsese, Irwin Winkler, Graham King, Vittorio Cecchi Gori, Barbara De Fina, Randall Emmett, Gaston Pavlovich…
  • Photographie : Rodrigo Prieto
  • Montage : Thelma Schoonmaker
  • Décors & Costumes : Dante Ferretti
  • Musique : Kathryn Kluge, Kim Allen Kluge, Howard Shore
  • Distribution : Metropolitan FilmExport
  • Durée : 2h39

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