Synopsis : En Birmanie, le « Vénérable W. » est un moine bouddhiste très influent. Partir à sa rencontre, c’est se retrouver au cœur du racisme quotidien, et observer comment l’islamophobie et le discours haineux se transforment en violence et en destruction. Pourtant nous sommes dans un pays où 90% de la population est bouddhiste, religion fondée sur un mode de vie pacifique, tolérant et non-violent.
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« La haine est certainement le plus durable des plaisirs : on se presse d’aimer, on se détester à loisir » Byron. Telle est l’ouverture du dernier volet d’une « Trilogie du Mal » débutée en 1974 avec Général Idi Amin Dada et suivi par L’Avocat de la terreur en 2007. Le Vénérable W. de Barbet Schroeder, présenté en Séance Spéciale au 70e Festival de Cannes, est une nouvelle exploration de la nature immanente du Mal incarné par l’islamophobe Ashin Wirathu, figure de proue d’une doctrine fascisante, dissimulée sous les oripeaux d’une pensée bouddhique gangrénée par le contexte politico-social birman. Que peut bien faire une pensée religieuse pacifique, admirée des plus grands (Spinoza, Einstein), n’ayant jamais cessée de cultiver une certaine idée du Bonheur à base d’Amour et de Bienveillance, lorsqu’elle se retrouve confronter à tant de haine, de démagogie et de mensonges ? Avec Wirathu, la nature humaine franchit encore un cap de plus dans l’ignominie la plus complaisante. Dans un pays où 90% de la population est bouddhiste, son auditoire est infinie, sa responsabilité immense et les conséquences désastreuses. Comme souvent, c’est d’abord son caractère rebelle qui intrigue – Wirathu écrit des ouvrages critiques sur les Anciens et leurs pratiques, monte son propre mouvement (le « 969 », puis le « Ma Ba Tha »), peaufine ses pamphlets racistes durant ses dix années d’enfermement, puis exhorte les autres moines et la population à le rejoindre pour sauver « sa » race et « sa » religion. Son visage, rondouillard et jovial, le rend presque sympathique aux yeux de la population. Il profite surtout d’un contexte instable et morbide (le viol d’une jeune fille bouddhiste en 2012) pour prendre son essor et lâcher ses sermons islamophobes devant des parterres de plus en plus conséquents.
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Wirathu y apparaît serein, sûr de son fait et de ses dires, lâchant même quelques sourires à l’image de cette séquence incroyable où il montre la reconstitution « cinématographique » de l’histoire du viol, visiblement satisfait du montage et de la réalisation d’une « œuvre » de propagande. Si l’histoire récente de la Birmanie est déjà douloureuse et la fracture profonde, le dérèglement de son institution religieuse et les conséquences atroces des actions prônées par Wirathu et sa superstructure, de même que la réaction tardive du gouvernement à fustiger ses sermons et à prendre ses responsabilités sur la situation en Arakan, font planer un immense doute sur la suite des événements. Bien que dorénavant mué au silence, Wirathu prospère toujours, plus insidieusement, mais, tout comme les assassinats et les viols, il n’est pas arrêté. Au-delà du portrait singulier qu’il dresse et la dénaturalisation du bouddhisme dans l’un de ses berceaux originels, Schroeder révèle également des images bouleversantes et traumatisantes sur le chaos qui sévit dans le pays, des images-chocs, extrêmement violentes, qui finissent par éveiller le spectateur par la très grande urgence du conflit religieux qui se pérennise en l’instant même où l’auteur de ce texte écrit ses lignes.
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- Note de la rédaction cannoise
- Nathalie Dassa ♥♥♥♥♥
- Philippe Descottes ♥♥♥♥♥
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- LE VÉNÉRABLE W. écrit et réalisé par Barbet Schroeder en salles le 7 juin 2017
- Avec les voix de : Barbet Schroeder et Bulle Ogier
- Production : Margaret Menegoz, Lionel Baier
- Photographie : Victoria Clay Mendoza
- Montage : Nelly Quettier
- Musique : Jorge Arriagada
- Distribution : Les Films du Losange
- Durée : 1h40
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