Résumé : Samuel Fuller a commencé sa carrière en tant que journaliste spécialisé dans les affaires criminelles, et a ensuite combattu comme soldat pendant la Seconde Guerre mondiale. Cela ne s’invente pas. Le Port de la drogue, Shock Corridor, Dressé pour tuer… Ses films sont marqués par ce qu’il a vécu et explorent des genres variés. Admiré par Jim Jarmusch, Quentin Tarantino ou encore Jean-Luc Godard, Fuller est pourtant un cinéaste qui a suscité au fil du temps les évaluations et les jugements les plus contradictoires. Ses films, à l’instar de sa vie, ont prêté à bien des malentendus : sur la violence, la politique, la guerre, les hommes, les femmes, les États-Unis. En homme libre, il y a superbement survécu. S’il revendiquait un cinéma de basse extraction quant à ses budgets et au matériau qu’il privilégiait, il tenait avec orgueil à inscrire au fronton de ses films qu’il les écrivait, les réalisait et souvent les produisait lui-même. L’énergie extrême que tout le monde s’accordait à lui reconnaître a longtemps fait elle-même l’objet d’une méprise. Loin d’être une force brute et aveugle, elle doit s’entendre, ainsi que chez Balzac dont il était fou, comme ultime puissance créatrice.
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Le nom de Samuel Fuller résonne dans l’esprit de nombreux cinéphiles comme une sorte d’intouchable, réalisateur-fétiche porteur d’une œuvre tout à la fois plurielle et cohérente. Le passage du temps n’enlève rien à cette renommée, et semble même en renforcer le prestige. Sur bien des points, Fuller apparaît comme un chaînon manquant, marquant le passage entre classicisme et modernité, creusant les catégories pour mieux en déjouer les normes constitutives. L’itinéraire proposé par l’ouvrage de Jean Narboni, ancien rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma et déjà co-auteur d’un livre d’entretiens avec le réalisateur publié en 1986, rend sensible la singularité du parcours de Fuller. Garçon de course, journaliste spécialisé dans les affaires criminelles, romancier, scénariste, soldat, Fuller a nourri son activité de réalisateur de cette formation protéiforme. Au séquençage chronologique promulgué par la maison Cappricci, correspond l’acuité d’un regard se portant tour à tour sur les thématiques, les motifs, les archétypes, les formes, et les tons à l’origine de la manière de Fuller. Au fil de la lecture, un rapport se tisse entre le style de Narboni et celui du réalisateur de Shock Corridor. Représentant d’un « cinéma-termite » (pour reprendre l’expression de Manny Farber), Fuller développe sa persona artistique à travers l’emprunt de chemins de traverse, galeries souterraines qui ne cessent de décentrer la structure d’ensemble. De la même manière, Narboni contourne les impératifs habituels de la monographie pour embrasser l’ensemble de la filmographie d’un regard unique et aiguisé. L’auteur relève ainsi l’importance des collaborateurs de création (acteurs mais aussi chefs-opérateur), des précurseurs (Ewald André Dupont, John Ford, Howard Hawks, Raoul Walsh, Budd Boetticher, Fritz Lang) ainsi que des continuateurs (Jean-Luc Godard, Wim Wenders, Serge Bozon, Axelle Ropert) dans l’édification de l’oeuvre fullerienne, tout en étudiant les apports de celle-ci à travers les particularités d’une séquence (l’introduction du Port de la drogue), d’un sujet (le journalisme dans Violence à Park Row), d’un personnage (le détective Charlie Bancroft de Le Kimono Pourpre), d’une configuration scénographique (les baisers contrariés). À la concision de la forme (encore renforcée par la présence d’un index des films et des noms) répond l’excellence d’un fond qui permet d’apprécier toute la complexité d’une figure canonique qui souffrit de nombreux malentendus (voir l’exemple de la réception de Dressé pour tuer) et autres idées préconçues.
- SAMUEL FULLER. UN HOMME À FABLES
- Auteur(s) : Jean Narboni
- Édition : Capricci
- Collection : La première collection
- Date de Parution : 7 décembre 2017
- Format : 160 pages
- Tarif : 18 €