Synopsis: Dans une banlieue déshéritée, Marcello, toiletteur pour chiens discret et apprécié de tous, voit revenir de prison son ami Simoncino, un ancien boxeur accro à la cocaïne qui, très vite, rackette et brutalise le quartier. D’abord confiant, Marcello se laisse entraîner malgré lui dans une spirale criminelle. Il fait alors l’apprentissage de la trahison et de l’abandon, avant d’imaginer une vengeance féroce…
♥♥♥♥♥
En 2009, Matteo Garrone remportait le Grand Prix du Jury au Festival de Cannes pour Gomorra, en plus de nominations aux Golden Globes, aux BAFTA et dans d’autres festivals mondiaux. Une oeuvre saisissante qui traitait de la Camorra, mafia napolitaine et inspirée de l’enquête éponyme de Roberto Saviano sur le sujet. Il présente aujourd’hui Dogman, ou l’histoire d’un toiletteur pour chien, dealer à ses heures perdues pour arrondir les fins de mois, aux prises avec un monstre dont il tient une part de responsabilité à la création. Pertinence et proximité déstabilisante pour traiter la criminalité et sa nuisance sur les hommes de peu, qui sont les premières victimes du phénomène, concluent l’affaire. Le réalisateur fait montre d’une maîtrise dans le genre et instille un malaise immersif qui finit par devenir insupportable pour les nerfs. Le tout dans des décors directement sortis de la tradition western et filmés à Castel Volturno en Campanie italienne. La place centrale et sableuse tient pour arène de jeu du léviathan qui sillonne en moto son pourtour -et dont le son produit un effet pavlovien très à propos chez le spectateur-, effrayant les personnages retranchés dans le bar, la salle d’arcade, la boutique de rachat d’or ou du fameux homme-chien. Dogman est donc l’histoire de Marcello (Marcello Fonte), un toiletteur populaire et apprécié qui, en plus de son activité officielle, tente de se faire un petit pécule mensuel par la revente de cocaïne afin de voyager avec sa fille, Sofia (Alida Baldari Calabria. L’introduction nous installe dans une histoire commune, faite de shampoing aux canidés et de promenades le long du bord de mer avant que le ton ne bascule. Simoncino (Edoardo Pesce), fraîchement sorti de prison, rend visite à Marcello pour le sommer de lui donner sa dose. Lui ouvrir la porte revient alors à ne plus être en capacité physique et psychologique de le faire sortir. Tandis que Simon, à l’instar de La Pieuvre -symbole de la mafia- n’a de cesse de vampiriser Marcello, en usant de son aspect massif et arguant une prétendue amitié, on assiste à la chute d’un homme qui trouve dans la plongée sous-marine, le seul moyen d’échapper aux enfers de la Terre.
Marcello Fonte s’est vu remettre le prix d’interprétation masculine à la 71e édition du Festival de Cannes cette année. Une distinction amplement méritée par le jeu qu’il propose, parfait d’impuissance dans une posture chétive que le réalisateur va mettre en perspective tout au long du film dans ses relations aux autres mais aussi par l’architecture environnante. À la fragilité de Marcello est opposée la carrure imposante et glaçante de Simon dans une relation qu’on peine à comprendre vraiment. Plus Simon va loin dans l’intimidation, insatiable et sans respect aucun pour “son ami”, plus Marcello fait le dos rond dans l’attitude canine de revenir sans cesse vers son maître et ce, quand bien même certains lui aient proposé de liquider le nuisible. Sa loyauté semble sans borne et le film interroge cette sacro-sainte vertu de l’omerta et de la fidélité chères à la criminalité organisée. Simon est un antagoniste à l’écriture parfaite, monstrueux et socialement inapte qui perd totalement pied. Même sa mère ne trouve plus les mots pour le raisonner. Il apparaît comme une tumeur que Marcello aurait laissée grossir et dont l’extraction ne pourra être que douloureuse et violente.
La caméra de Garrone capte avec poésie le visage “antique” de Fonte, comme le décrit le réalisateur. Ni anti ni héros, mais homme simple dans le motif populaire de celui qui cherche à s’extraire de sa condition et dont la mythologie mafieuse est pavée. Peu ou pas d’éléments technologiques ne sont utilisés à part le recours au téléphone portable, inscrivant Dogman dans une sorte d’intemporalité qui sert l’esthétique du chaos, dans ces villes sclérosées par la criminalité et où le temps semble s’être arrêté. Les oeuvres sur la mafia sont légion et les codes ont été fixés en grande partie grâce à l’émergence de films, à l’image de ceux de Coppola ou Scorsese sous le Nouvel Hollywood. Cependant, des lectures, comme celles d’Andreï Zvyagintsev avec Leviathan, sorti en 2014, proposent une proximité différente avec le sujet, comme un cas pratique beaucoup plus parlant. Sans esthétisation de ce qui est montré. Ainsi, on souffre avec Marcello sans envier sa place et l’on comprend presque son acte final et la vengeance faite par un homme qu’ont épuisé les brimades. Le rythme peut parfois paraître un peu long et les actions redondantes. Sentiment créé en partie par la docilité insupportable de Marcello.
En ouverture, un chien en plan serré grogne et aboie sur ce personnage nullement effrayé, refusant d’être baigné. On comprend in fine que la véritable violence se situe plus haut, dans les strates psychologiques, et que la menace à considérer est humaine. L’Homme est un chien pour l’Homme, et l’animal devient le témoin de ces actes, dans leur déchaînement à soumettre ou être oppressé. Notons que Dogman est inspiré d’un fait divers violent de 1988 dans lequel Pietro De Negri, un toiletteur pour chien s’est vengé de l’ancien boxeur Giancarlo Ricci de manière particulièrement violente. Matteo Garrone change d’optique, prend de la distance et développe une dimension à l’acte en le remplissant d’une substance psychologique et dramatique très efficace.
- DOGMAN
- Sortie salles : 11 juillet 2018
- Réalisation : Matteo Garrone
- Avec : Marcello Fonte, Edoardo Pesce, Alida Baldari Calabria, Nunzia Schiano, Adamo Dionisi, Francesco Acquaroli, Gianluca Gobbi
- Scénario : Matteo Garrone, Ugo Chiti, Massimo Gaudisio
- Production : Matteo Garrone, Paolo Del Brocco, Jean Labadie, Jeremy Thomas
- Photographie : Nicolaj Bruel
- Montage : Marco Spoletini
- Décors : Dimitri Capuani
- Costumes : Massimo Cantini Parrini
- Musique : Michele Braga
- Distribution : Le Pacte
- Durée : 1h42