Synopsis : Un vieux réalisateur, J.J. Hannaford, fait son come-back à Hollywood après plusieurs années d’exil en Europe. Il est en train de finir un nouveau film avec lequel il veut mettre au défi, sur le terrain, « toute la palette du jeune cinéma américain, depuis les cinéphiles mélancoliques jusqu’à Andy Warhol ». Une fête est organisée en son honneur dans son ranch par tout le gratin hollywoodien à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire.
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Achever un film tient du miracle. Même les plus grands n’ont pu, parfois, mener à bout leur vision, victimes d’accidents, d’obstacles, d’échecs. Dune d’Alejandro Jodorowsky, Napoléon de Stanley Kubrick, Leningrad de Sergio Leone, etc. Le cinéphile rêveur ne peut qu’imaginer ce qu’auraient été ces projets dantesques. De l’Autre Côté du Vent en faisait partie jusqu’à ce qu’en 2018, Netflix achève enfin le dernier film d’Orson Welles. L’histoire de l’ultime projet du réalisateur de Citizen Kane est incroyable en soi. Mûri dès 1961 après le suicide de son ami Ernest Hemingway, il doit faire de ce projet celui qui le ramènera en grâce à Hollywood, lui qui a vécu une vingtaine d’années en exil. La photographie principale commence en 1970-1971 avant que le fisc ne jugule une première fois Welles qui, malgré les départs d’acteurs et de techniciens, les soucis de financement, parvient à filmer le gros du film de 1973 à 1976. Et c’est le drame : un des producteurs part en emportant la caisse et Welles, qui avait pris langue avec des producteurs iraniens, se voit privé de fonds par la révolution islamique. Malgré un montage à moitié achevé, le film ne sera jamais terminé puisqu’il décède en 1985. C’est alors que le film est victime d’une guerre de tranchées entre les différents ayants droit, entre ceux qui ne veulent pas trahir sa vision et ceux qui veulent voir De l’Autre Côté du Vent sortir. Après des reports incessants, Peter Bogdanovich (La Dernière Séance), grand ami de Welles, parvient à débaucher Netflix et à terminer le film, montré enfin au Festival de Venise 2018.
Pas de risque de trahison. Peter Bogdanovich, qui fut l’un de ses amis et admirateurs, et qui a lui-même participé au tournage, a respecté scrupuleusement les volontés du maître, qui avait déjà monté plus de quarante minutes de film et avait laissé 100 heures de rushes et assez de notes de production. Un premier visionnage en privé a laissé Paul Thomas Anderson, Quentin Tarantino et Rian Johnson soufflés. Si Orson Welles a été l’un des artistes les plus novateurs d’Hollywood, il le prouve encore, par cette structure de film à l’intérieur du film, enveloppé dans un faux documentaire satirique, combinant plans en couleur, plans en noir et blanc et un montage frénétique qui prend de court le spectateur pour le propulser dans le monde fou d’un tournage. Le tout servi par la musique jazz de Michel Legrand, dernière pièce de la résurrection du film.
Le long-métrage raconte les circonstances autour du tournage de De l’autre côté du vent, un film sans queue ni tête, sans dialogue, avec des scènes de sexe et de violence gratuites, dont l’acteur principal s’est barré, et dernier opus d’une légende déchue du cinéma, Jake Hannaford (John Huston). Celui-ci est mort sans terminer son film, dans un accident de voiture le jour de son anniversaire. Son disciple, le réalisateur Brooks Otterlake (Peter Bogdanovich) monte un documentaire sur le dernier jour d’Hannaford. L’histoire prend place à l’aube du Nouvel Hollywood, dépeint comme grotesque et imbu de lui-même, avec ses réalisateurs (Peter Bogdanovich, Dennis Hopper et même Claude Chabrol), ses critiques (Susan Strasberg, qui joue une parodie de Pauline Kael) et ses producteurs. De l’Autre côté du vent (le film d’Hannaford) est en soi une parodie acerbe de Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni.
Jake Hannaford est un réalisateur avare de mots, grossier, violent, alcoolique, se traînant une réputation de gros dur, à la fois méprisé et vénéré par le tout-Hollywood qui traque ses moindres faits et gestes, qui inspire une foule de biographes. Il est habité par la volonté d’achever son film coûte que coûte, courant après l’argent et prêt à recourir à un mannequin de papier mâché pour remplacer son premier rôle, et ce même si le film devient de plus en plus absurde. Orson Welles a juré ses grands dieux que le personnage était un hommage à Hemingway, voire à John Huston lui-même.
Mais comment ne pas reconnaître Orson Welles en personne ? Lui qui fut toujours tyrannisé par les producteurs, adulé par le Nouvel Hollywood qui le considérait néanmoins comme une relique du passé, s’est traîné une réputation d’ours mal léché, se complaisant dans la bonne chère et prêt à accepter n’importe quel projet pour obtenir des fonds ? De l’autre côté du vent, qu’il s’agisse du film d’Hannaford ou de celui de Welles, a fait se rencontrer la réalité et la fiction. L’histoire racontée dans ce film est devenue celle du film lui-même. Brooks Otterlake, le disciple/chaperon/héritier de Jake Hannaford, a perdu son interprète, remplacé au pied levé par Peter Bogdanovich, qui fut le disciple/chaperon/héritier d’Orson Welles.
À la lumière de toute l’œuvre de Welles, De l’autre côté du vent s’illustre comme un testament, la réponse d’un demi-dieu du cinéma au Nouvel Hollywood, capable de montrer qu’il est capable de reprendre ses codes pour totalement se renouveler, à travers un miroir acide et impitoyable. Quarante ans plus tard, c’est peut-être le film qui fait le mieux le bilan de cette période et met un point final à la superbe carrière de Welles. Surtout, après une telle gestation, Orson Welles impressionne par sa maîtrise technique à travers la tombe, comme le prouve encore le documentaire Ils m’aimeront quand je serai mort, diffusé sur Netflix dans la foulée et qui prouve que De l’autre côté du vent, histoire d’un film raté, a été à deux doigts de sombrer dans l’oubli. Son aspect d’adieu ne le rend que plus poignant.
Arthur de Boutiny
- DE L’AUTRE CÎTÉ DU VENT (The other side of the wind)
- Chaînes / Plateforme : Netflix
- Date de diffusion : 2 novembre 2018
- Réalisation : Orson Welles
- Avec : John Huston, Peter Bogdanovich, Norman Foster, Howard Grossman, Oja Kodar, Geoffrey Land, Lilli Palmer, Joseph McBride, Cathy Lucas, Mercedes McCambridge, Cameron Mitchell, Bob Random, Benny Robin, Susan Strasberg,Tonio Selwart
- Scénario : Orson Welles, Oja Kodar
- Production : Orson Welles, Dominique Antoine, Andrés Vicente Gomez, Frank Marshall, Filip Jan Rymsza
- Photographie : Gary Graver, assisté de Michaël Stringer et Michaël Ferris
- Montage : Orson Welles, Bob Murawski
- Décors : Glenn Jacobson
- Costumes : Vincent Marich
- Musique : Michel Legrand
- Durée : 2h02