Résumé : Pierre Sky introduit dans cet essai le concept de chant-contre-chant, qui désigne la superposition de « deux types de voix dans la bande-son d’un film : celle d’un artiste qu’on entend chanter par le biais d’une platine, d’une radio ou d’un juke-box, par exemple, et celle d’un ou de plusieurs personnages qui reprennent simultanément la même chanson. » Il montre comment ce procédé narratif traverse en réalité toute l’histoire du cinéma parlant et, en fils spirituel de Serge Daney, il mène son analyse sur plusieurs fronts : celui du cinéma, bien sûr, qu’il soit d’auteur ou populaire (l’auteur aborde des films aussi variés que Casablanca ou Les Gardiens de la Galaxie), mais aussi celui de l’imagerie télévisuelle (et notamment l’émission Carpool). On y constate que, s’il est parfois périphérique ou simplement ornemental, le chant-contre-chant revêt une fonction bien plus profonde, voire centrale, chez Nanni Moretti, dont l’œuvre sert de fil rouge à cet essai.
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Pierre Sky, sociologue du langage disparu en 2015, conceptualise dans cet ouvrage une notion hybride aux frontières de l’image, du son, et du corps (couplé, accouplé et exultant). Le « chant-contre-chant », puisque c’est de cela qu’il s’agit, repose sur un double-principe de superposition et de simultanéité entre une voix entendue par le truchement d’un enregistrement musical (platine, radio, juke-box…) et celle(s) d’un ou plusieurs personnages la reprenant durant le film. Il y a donc l’idée d’une rencontre qui se dégage de cette notion, une configuration fédératrice productrice d’un « effet d’enseignement » dont l’auteur s’attelle à reconnaître les exemples les plus probants et signifiants. Le cinéma de Nani Moretti apparaît comme le chef de fil de cette exploration. La Chambre du fils, Journal intime, Habemus Papam, Palombella rossa, ou encore Mia Madre composent à la faveur de séquence unique et plans multiples de tels moments de confluence syncrétique. Voix chantante et corps dansants se déclinent encore à travers une série de productions que Sky a consigné à la fin de son ouvrage sous la forme d’un ensemble de références : Susan Sarandon reprenant Ain’t No Mountain High Enough de Marvin Gaye dans Ma meilleure ennemie, Julie Delpy réinterprétant Just in Time de Nina Simone dans Before Sunset, ou les actrices de Bandes de filles chantant en coeur Diamonds de Rihanna, soulignent l’éclectisme d’un répertoire fondé sur le rapport fructueux entre exemples populaires et réflexions érudites. De Jean-Luc Godard aux Gardiens de la galaxie, de Serge Daney à Jerry Maguire, l’ouvrage exploite un vivier choral de pistes d’étude qui détermine un ensemble tout autant foisonnant d’approches. Car à l’analyse formelle introduisant l’écrit s’ajoute une valeur sociologique et critique que l’on retrouve à travers l’étude des émissions de télé-crochet associant au formatage de leurs dispositifs musicaux la recherche poussive d’émotions préfabriquées. Aucune fausse note dans cet essai dont Thierry Jousse, critique de cinéma et réalisateur, reconnaît à juste titre dans sa préface, la présence d’une « forme vagabonde ». La chose doit évidemment s’entendre au sens le plus noble qu’on peut lui prêter. Il y a en effet un nomadisme qui se dégage de l’écriture de Sky, une liberté de mouvement qui assure la singularité de son argumentation tout en préservant une subjectivité en tout point essentielle.
- CHANT-CONTRE-CHANT
- Auteur : Pierre Sky
- Éditions : Marest éditeur
- Collection : Domaine français
- Date de parution : 9 avril 2019
- Format : 144 pages
- Tarif : 9 €