Résumé : Depuis la déflagration La Nuit des morts-vivants en 1968, les zombies ont colonisé nos imaginaires et le box-office. On a beaucoup écrit sur ces créatures trahissant les pires angoisses des sociétés post-industrielles, un peu moins sur les personnages leur faisant face. Or les films de zombies mettent en scène des monstres, mais aussi des individus lambda contraints de réinventer, individuellement et collectivement, leur rapport au monde. De Zombie à World War Z, en passant par The Walking Dead et 28 jours plus tard, les personnages confrontés à la crise zombie perdent pied dans un monde en ruines, instable, liquide. Face à cette incertitude chronique, ils développent des stratégies diverses pour survivre et, si possible, redonner du sens à leur environnement et « refaire monde ». Géographie zombie, les ruines du capitalisme explore via le cinéma les défis géographiques et politiques que doivent relever nos sociétés, de notre rapport à l’Autre à la manière dont nous concevons nos lieux d’habitation.
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Depuis quinze ans, les études sur le zombie au cinéma se multiplient, accompagnant la forte popularité de ses productions cinématographiques et contribuant à son intronisation au rang de nouvelle icône de la culture populaire (à l’exception du vampire, son actuelle notoriété ne semble avoir d’équivalent au sein du folklore fantastique). Difficile donc de se démarquer au sein d’un corpus éditorial aussi riche et il faut d’emblée signaler sur ce point la qualité du présent ouvrage. En choisissant d’aborder la figure du mort-vivant par le biais de la géographie, Manouk Borzakian, géographe et fondateur du blog Géographie et cinéma, ne cherche rien de moins qu’étudier « le rapport des sociétés occidentales à leur environnement et (…) l’évolution de ce rapport depuis une cinquantaine d’années ». Le zombie apparaît alors comme un motif réflexif et fantasmatique renvoyant aux problématiques bien réelles de la sphère géopolitique. En résulte deux approches complémentaires mais tenant d’un intérêt inégal. Cherchant dans un premier temps à définir une anthropologie-zombie à la lumière de critères sociaux et politiques, Borzakian propose un travail qui relève plus de la redite que de la réelle exploration. Les arguments développés sont souvent pertinents mais n’apportent pas d’éléments totalement nouveaux par rapport aux recherches précédentes (notamment celles consignées dans le collectif Politique des zombies dirigé par Jean-Baptiste Thoret publié chez Ellipses en 2007 et qui se présente comme la véritable synthèse sur la question de l’altérité zombiesque). C’est lorsque l’auteur choisit de déporter sa problématique vers la figure du survivant que ses propos deviennent réellement consistants. Car c’est bien à partir de l’humain que se configure la perception d’un nouveau territoire à l’intérieur duquel il faudra apprendre à vivre autrement. À partir d’un large corpus d’exemples (des films aux séries tv) l’étude propose une analyse très complète des topographies post-apocalyptiques. Architectures, motif de la ruine, lieux clôturés, urbanisme marqué par la nostalgie de ses anciens habitants constituent les lieux clés d’une réflexion féconde et savamment référencée. La qualité de l’ensemble pousse à prolonger la problématique de l’auteur à l’intérieur d’une plus vaste cinématographie. Car au-delà du seul film de zombies, les réflexions déployées ici peuvent inclure l’ensemble des productions mettant en scène des espaces colonisés par un imaginaire de la dévastation. Cette ultime remarque souligne l’ouverture théorique d’un ouvrage dont la perspective principale assure la singularité au sein du champ éditorial des mort-vivants cinématographiques (et télévisuels). Si une filmographie sélective proposée en fin d’ouvrage permet de cartographier sous une forme synthétique l’argumentation de l’auteur, on regrettera l’absence de bibliographie.
- GEOGRAPHIE ZOMBIE, LES RUINES DU CAPITALISME
- Auteur : Manouk Borzakian
- Éditions : Playlist Society
- Collection : Cinéma/essai
- Date de parution : 14 mai 2019
- Format : 128 pages
- Tarif : 14 € (print) – 7 € (numérique)