Livre / La Foire aux vanités : critique

Publié par Jacques Demange le 17 mai 2019

Résumé : Pandémonium est un néologisme inventé à la fin du XVIIe siècle par le poète anglais John Milton pour désigner un lieu où règnent chaos, confusion, vacarme et fureur. Autrement dit un enfer. Pour l’avoir fréquenté pendant plus de trente ans ans, je peux du haut de ma modeste légitimité témoigner que le festival de Cannes est un parfait pandémonium où bien des démons s’agitent. Une foire aux vanités qui est aussi un bûcher. Mais d’expérience, il s’avère que cet enfer est aussi un paradis. Le paradis des films bien évidemment mais aussi le paradis d’une vie quotidienne littéralement extraordinaire : celle du festivalier qui, glissé dans une identité très provisoire, Grande Duchesse du cinéma ou Manant de la critique, habite une Principauté d’opérette (Monaco est à un jet de Riviera) où le comique le dispute au tragique, les coups fourrés aux coups de cœur, les bonnes blagues aux crises de nerfs. Etre citoyen du Festival de Cannes, c’est osciller sans cesse entre crise de nerfs, fous rires puissants et joie de vivre –; somme toute des grandes vacances, comme une parenthèse enchantée et maléfique, hors norme, hors de soi et parfois hors la loi. Entre Mission Impossible et Marx brothers, c’est le récit de ces vacances en Festival, que je voudrais entreprendre. Un  » roman  » parallèle, marginal et underground. Au hasard des souvenirs, bons ou mauvais, des anecdotes, hilarantes ou à pleurer, mais sans aucune nostalgie. Chaque année on peste d’aller au Festival, chaque année on est ravi d’y être. Jusqu’au jour où, c’est juré ! on n’y mettra plus jamais les pieds. Jusqu’à la prochaine fois.

♥♥♥♥

 

La Foire aux Vanites

La Foire aux Vanités

Comme chaque année, le tapis rouge, les plages et… les interminables files d’attente pour voir les films. Vécu de l’intérieur le Festival de Cannes peut ressembler à un véritable parcours du combattant. C’est ce voyage cinéphilique à la fois lumineux et infernal que nous raconte Gérard Lefort, critique de cinéma, romancier et ancien journaliste culturel de Libération. Fort de ses nombreuses incursions cannoises, l’auteur décrit avec humour les différents problèmes logistiques posés aux festivaliers professionnels ou non. Des annonces de location mensongères aux colocations difficiles, de la célèbre montée des marches aux réceptions mondaines infiltrées, Lefort décrit un univers paradoxal conciliant poésie et trivialité, faste et décadence. La liberté de ton de l’auteur permet de souligner les écarts souvent ubuesques de cet événement définitivement à part dans le panorama des festivals de cinéma. C’est lorsque Lefort se focalise sur son quotidien de journaliste que la chose devient vraiment intéressante. Car c’est bien aux critiques de cinéma que Cannes dévoile ses plus surprenantes coulisses. L’ouvrage prend sur ce point une tournure surréaliste. Entretiens réalisés sans traducteur, entrées improvisées à des soirées privées, articles rédigés sous la pression d’une publication prévue pour le lendemain, et séances passées à côté de collègues préférant l’écran de leur téléphone portable au film projeté, se présentent comme quelques anecdotes croustillantes parfaitement servies par le talent de conteur de Lefort. La plume acidulée de l’auteur s’adoucit lorsqu’il s’agit de décrire la personnalité de ses plus célèbres interlocuteurs. La gentillesse d’Isabelle Huppert, la gouaille de Jean-Paul Belmondo, la mélancolie de Gérard Depardieu, la timidité d’Eli Semoun… Ces portraits plus ou moins insolites sont traversés par une nostalgie lucide. Les observations de Lefort prennent valeur de constat et débordent alors la seule situation cannoise. Sont ainsi évoquées la question de la place des femmes dans le monde de la critique cinématographique ou sa rencontre téléphonique avec une certaine Marlene Dietrich. Entre le carnet de voyage et l’album de souvenirs, cet ouvrage suscite souvent le rire mais permet aussi de prendre conscience de l’évolution d’un festival naguère incontournable rendez-vous de la cinéphilie, aujourd’hui transformée en une foire dont les vanités sont les moindres vices.

 

 

 

  • LA FOIRE AUX VANITÉS
  • Auteur : Gérard Lefort
  • Editons : Hors Collection
  • Date de parution : 9 mai 2019
  • Format : 320 pages
  • Tarif : 19 € (print) – 12,99 € (numérique)

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