Résumé : Analyse du film The Thing de John Carpenter dans lequel un organisme mystérieux est découvert en Antarctique par une équipe de scientifiques. De forme instable, la Chose est impossible à décrire et reste une énigme pour le regard. L’étude de cette créature est le point de départ d’une réflexion traversant l’histoire de l’art, la littérature fantastique, l’esthétique et la philosophie de l’art.
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L’intérêt de cet ouvrage consacré à The Thing repose sur deux qualités essentielles. Il y a d’abord une volonté de renouveler le regard (critique ou cinéphile) que l’on porte sur le film de Carpenter, ambition noble dans ses déterminismes et qui a le mérite d’atteindre son but. À ce premier trait s’ajoute un objectif plus général consistant à rapprocher sciences naturelles et sciences humaines. En ce sens, l’écrit de Sophie Lécole Solnychkine, maître de conférences à l’université de Toulouse-Jean Jaurès en esthétique et philosophie de l’art, s’inscrit directement dans la filiation de la pensée philosophique de Michel Serre dont l’approche hybride et audacieuse avait déjà trouvé un terrain d’application au sein des études cinématographiques à travers la trilogie du monstre hollywoodien de Jean-Michel Durafour (L’homme invisible de James Wales. Soties pour une terreur figurative ; L’étrange créature du lac noir. Aubades pour une zoologie des images ; Nous resterons, pour vivre et mourir, avec les loups-garous. Confession théorique, tous trois parus chez Rouge Profond). Signalons immédiatement que Lécole Solnychkine évite soigneusement l’écueil auquel aurait pu la confronter son axe de recherche. Sa conceptualisation, particulièrement féconde, ne prend jamais le film comme un prétexte ou un simple moyen d’illustrer ses principes, mais s’échafaude à partir du sens que lui prête les images. Il s’agit pour l’auteure et son lecteur d’adopter le point de vue du monstre considéré comme un regard dynamique travaillant la matière des plans qui le constituent autant qu’ils en sont les principaux récipiendaires.
Cette attention soutenue au caractère matériel du cinéma ne doit pourtant pas seulement être considéré comme un retour vers ses principes techniques, mais bien comme une mise en question de sa nature esthétique et notamment son rapport aux représentations mimétiques. L’art cinématographique se mesure alors à sa qualité de texture ou à sa puissance de liquéfaction, à l’animalité qui l’habite et à l’informe qui le dérange. De fait, l’écrit dépasse le seul régime visuel de The Thing pour proposer une « matériaulogie » qui interroge en profondeur le regard que l’on porte aux images en mouvement, mais pas seulement. Progressivement, en effet, l’auteure adopte une posture iconologique, reconsidérant le film de Carpenter à la lumière des toiles de Rembrandt, de la novella de John W. Campbell adaptée, de la littérature de Victor Hugo et de Lovecraft, ou à travers une comparaison avec d’autres productions.
Aux exemples attendus (Alien, L’invasion des profanateurs de sépultures, le remake de The Thing ou le film d’origine de Hawks) s’ajoute la présence d’œuvres plus singulières (Le désert rouge, Shining, The Station…) Un vaste corpus que seconde parfaitement la présence d’un riche cahier iconographique inséré au milieu de l’ouvrage. Ces différentes clés d’entrée permettent de réorienter notre perception du film qui passe de la surface de ses images à une exploration de ses dimensions souterraines (lumières, montage, bande musicale, compositions chromatiques).
L’écriture subtile de Lécole Solnychkine accompagne la rigueur et l’exigence d’une recherche qui marque le franchissement d’une nouvelle étape dans la compréhension de l’œuvre de Carpenter et ouvre la pratique de l’analyse filmique à un salvateur renouvellement de ses outils traditionnels.
- AESTHETICA ANTARCTICA. THE THING DE JOHN CARPENTER
- Autrice : Sophie Lécole Solnychkine
- Éditions : Rouge Profond
- Collection : Débords
- Date de parution : 7 novembre 2019
- Format : 169 pages
- Tarif : 19 €