Résumé : Deux semaines après avoir obtenu le César du meilleur film pour Fatima, Philippe Faucon et Soria Zeroual étaient les invités de l’émission de télévision, On n’est pas couché. Alors que tous se demandaient si le choix de l’Académie des arts et techniques du cinéma n’avait pas été dicté par de mauvaises raisons, Léa Salamé commença par suggérer que la force réaliste du film pouvait être un obstacle à sa candidature artistique avant de conclure que Fatima était un film sans art. Luc Vancheri ne s’est pas donné pour tâche de réparer un tort, la critique a fait bon accueil au film, il a en revanche cherché à retrouver les problèmes esthétiques et philosophiques qui rééclairent les situations narratives et les choix de mise en scène d’un film qui ne saurait se réduire à sa question sociale.
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Si celui qui pratique l’analyse filmique doit toujours se focaliser sur les images qu’il commente, son discours peut par ailleurs s’enrichir de nouvelles strates de sens s’inscrivant dans la singularité même de son objet d’étude. C’est ce que nous rappelle l’ouvrage de Luc Vancheri, professeur en études cinématographiques à l’université Lumière Lyon , co-directeur de la revue Écrans et spécialiste de l’esthétique du cinéma, qui introduit sa réflexion par un retour sur la polémique suscitée par les trois César remportés par Fatima de Philippe Faucon. Ce débat, initié rappelons-le par Guillaume Gallienne qui avait considéré que ces récompenses étaient d’abord dues au caractère politiquement correcte du film de Faucon, avait trouvé un écho singulier auprès de la journaliste Léa Salamé qui au cours de l’émission On n’est pas couché avait cherché à justifié la position de Gallienne en reprochant à Fatima son absence de « postulat esthétique ». Loin de juger cette discussion comme anecdotique, Vancheri en fait la clé d’entrée d’un ouvrage qui de séquence en séquence et de plan en plan, cherche à démontrer la légitimité artistique d’un film et, partant, de (re)considérer certaines images (cinématographiques, littéraires, picturales) qui continuent d’interroger notre perception du monde. La perspective adoptée par l’auteur est donc double, s’inscrivant d’abord dans une approche historique, avant de répondre à certains enjeux esthétiques. L’apparente simplicité qui habite la mise en scène de Faucon permet ainsi de revenir à l’essentiel.
Auprès de Vancheri, ce que l’on a pu considérer comme d’anciens débats se voient conférés un second souffle et prouvent qu’ils n’ont rien perdu de leur vivacité. Les rapports entre art et divertissement, esthétique et politique, l’appréhension du contemporain, la politique des auteurs, ou encore le rôle joué par le philosophe dans la Cité constituent les différents axes d’une étude qui s’attelle à revenir sur la pratique de l’analyse filmique pour dépasser la seule intention descriptive qu’on lui assigne trop souvent. Comme l’écrit Vancheri, « le destin [des] plans est lié à celui de toutes ces images qui font commerce d’art et d’histoire ». Et si « le cinéma est un lieu d’expérimentation de la vie humaine », alors il faut convenir à ses côtés que le dispositif employé par Faucon permet d’éclairer certains enjeux de notre société en inscrivant ses motifs, figures et thématiques au sein d’un champ iconologique qui appelle à une réflexion approfondie de la conduite et de l’éthique promulguées par sa mise en scène.
Le voile, la banlieue, le geste d’écriture, le rapport communautaire ou la relation au corps sexué se relisent ainsi à la lumière d’une généalogie visuelle et philosophique que l’auteur prend soin d’élargir à l’ensemble du cinéma contemporain (sont ainsi convoqués aux côtés de Faucon, les productions de Sharunas Bartas, Carlos Reygadas, Tsai Ming-liang, Bruno Dumont ou Béla Tarr) ; un foisonnant corpus d’exemples et de références qui fait d’autant plus regretter l’absence de bibliographie et filmographie. Se distinguent au fil de ces pages l’érudition d’un auteur et la qualité d’une collection qui considère la production cinématographique comme une passerelle apte à réfléchir nos manières d’interroger les films dans la singularité même de leurs pensées.
- FATIMA DE PHILIPPE FAUCON. SCÈNES DE LA VIE ÉTHIQUE
- Auteur : Luc Vancheri
- Éditions : Presses universitaires de Strasbourg
- Collection : Écouter/Voir
- Langues : français uniquement
- Date de parution : 7 novembre 2019
- Format : 286 pages
- Tarif : 10 €