Livre / Éric Rohmer. Le sel du présent. Chroniques de cinéma : critique

Publié par Jacques Demange le 19 février 2020

Résumé : On connaissait un Éric Rohmer théoricien, cherchant dans le cinéma une forme de sublime que les autres arts auraient désertée. Avec le présent recueil, qui reprend près de deux cents textes parus entre 1948 et 1959, c’est un Rohmer plus impur qui revient sur le devant de la scène. Impur, car il se mêle à ses choix des tropismes idéologiques, marqués par le contexte de la guerre froide et les exigences de la revue Arts, où il jouait au polémiste méchant. Impur, parce qu’à rebours du cinéma d’adaptation littéraire, il ose défendre les outsiders, les films de genre, les produits de consommation courante. Impur encore, parce qu’il ne cesse de faire des infidélités à son atlantisme affiché, et de découvrir, à travers Ingmar Bergman, Kenji Mizoguchi ou Satyajit Ray, de nouveaux territoires de cinéma. Constamment il bifurque, emprunte des chemins de traverse, redessine en le précisant son paysage cinéphile. Et invente, de modèles secrets en révérences en trompe-l’œil, son futur travail de cinéaste.

♥♥♥♥♥

 

Eric Rohmer - livre

Eric Rohmer – livre

En choisissant de réunir un grand nombre de textes rédigés par Éric Rohmer pour les revues Opéra, La Parisienne et Arts, Noël Herpe, écrivain, cinéaste, critique et historien du cinéma, déjà auteur d’un certain nombre d’ouvrages consacrés au réalisateur du Genou de Claire, propose un éclairage inédit de l’identité critique et théorique du cinéaste dont son précédent recueil d’articles, Le Goût de la beauté (Éditions Cahiers du cinéma, 1984), avaient posé les bases. À l’instar des critiques de Truffaut et de Godard, l’écriture de Rohmer se révèle tout à la fois profuse et élégante, concise et hautement centrifuge. Entre révérence pour les anciens (Eisenstein, Lang, Griffith, Clair, Stroheim), accueil des nouveaux venus (Ray, Zinnemann, Brooks, Fuller, Logan, Taurog), découvertes de festivals (Mizoguchi, Bergman, Staudte, Wajda, Antonioni), et projections parisiennes (Chabrol, Bresson, Delannoy, Resnais, Audry), ce recueil propose un panorama d’une période charnière de l’histoire du cinéma (1956-1959) qui vit l’arrivée de la Nouvelle Vague française, la modernité du cinéma italien, le renouvellement de la production hollywoodienne, et la découverte des cinématographies scandinaves et orientales (le Japon et l’Inde avec les beaux articles consacrés à Satyajit Ray). La boulimie cinéphile de Rohmer n’empêche l’éclat de la lucidité. Les parti pris, aussi contestables soient-ils (Carol Reed et David Lean entre autres, les propos du futur réalisateur s’inscrivant pleinement dans la détestation avouée des jeunes turcs des Cahiers pour le cinéma britannique), profite d’un talent certain pour l’argumentation qui permet d’expliciter les enjeux de goûts personnels mais qui, paradoxalement, visent une conception du cinéma comme un art universel.

 

Peut-on voir ici comme Noël Herpe un avant-goût de « cette part de vérité qui donne vie à la fiction, cette frontière fragile entre l’une et l’autre qui sera au cÅ“ur de son Å“uvre future » ? Probablement, mais ce qui impressionne d’abord dans ce recueil c’est la cohérence théorique qui se tisse entre ces nombreux textes d’allures et de fonds différents. La reconnaissance du cinéma de genre (l’ « art termite » défendu par le critique américain Manny Farber) va de pair avec une recherche de transcendance qui fait du film le point de départ et l’aboutissement d’une nouvelle histoire de l’art.

 

Au-delà des seuls points de connexions avec ses immédiats contemporains (Truffaut et Godard donc, mais aussi Rivette et Chabrol), la pensée de Rohmer semble parfois anticiper sur celle de Paul Schrader et de son essai Transcendental Style in Film (1972). On recommandera donc vivement cet ouvrage qui, indubitablement, permet d’ouvrir le cinéma et l’écriture de Rohmer à un nouveau réseau d’interprétations et de (re)connaissances.

 

Un bel hommage qui vient célébrer les 100 ans de la naissance du réalisateur, disparu en 2010.

 

 

 

  • ÉRIC ROHMER. LE SEL DU PRÉSENT. CHRONIQUES DE CINÉMA
  • Auteur : Noël Herpe (anthologie établie par)
  • Éditions : Capricci
  • Date de parution : 20 février 2020
  • Langues : Français uniquement
  • Format : 512 pages
  • Tarif : 22 € (print) – 11,99 € (numérique)

Commentaires

A la Une

A complete unknown : Timothée Chalamet devient l’icône folk Bob Dylan dans ce premier trailer

Dans ces premières images, James Mangold nous entraîne dans les années 60 pour découvrir l’ascension de Bob Dylan, figure centrale… Lire la suite >>

Joker – Folie à deux : un nouveau trailer déjanté

La nouvelle bande-annonce du Joker : Folie à deux a déjà dépassé les millions de vues en moins de 24… Lire la suite >>

Michael Mann lance un site dédié au processus de création de tous ses films

The Michael Mann Archives a été lancé le 16 juillet dernier, et le premier film accessible aux abonnés est aussi… Lire la suite >>

Spermageddon : un film d’animation norvégien prometteur

Originals Factory a acquis les droits de distribution en France de cette comédie musicale animée autour du sexe, qui sera… Lire la suite >>

The Substance : le film de body horror avec Demi Moore se dévoile dans un teaser intriguant

Le nouveau film de Coralie Fargeat verra s’affronter Demi Moore et Margaret Qualley autour de cette fameuse substance.    … Lire la suite >>

Nos vidéos

Box OFFICE France

Titre Cette sem. Nbr Sem. Cumul
1 LE COMTE DE MONTE-CRISTO 992 295 4 4 531 945
2 MOI, MOCHE ET MECHANT 4 785 787 2 2 185 956
3 VICE-VERSA 2 575 629 5 6 872 252
4 TWISTERS 290 884 1 290 884
5 UN P'TIT TRUC EN PLUS 255 666 12 8 388 607
6 LE LARBIN 114 953 1 114 953
7 SANS UN BRUIT : JOUR 1 64 880 4 805 262
8 LONGLEGS 47 710 2 117 561
9 HORIZON : UNE SAGA AMERICAINE, CHAPITRE 1 46 839 3 239 854
10 SANTOSH 43 680 1 43 680

Source: CBO Box office

Nos Podcasts