Synopsis : Plus qu’un simple documentaire, La Sorcellerie à travers les Âges défie toutes les frontières de genres et de style en étudiant la nature de la sorcellerie et du satanisme, de la Perse Antique aux temps modernes.
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Alors que le confinement semble bien parti pour s’étendre sur la durée, nombre de cinéphiles observent avec angoisse leur dvdothèque se désemplir à vue d’œil. Si les plateformes VOD ont de quoi combler le vide de vos soirées solitaires ou en tête-à -tête imposé, il ne faut pas oublier qu’Internet possède un certain nombre de ressources cinématographiques. Il est donc possible de trouver quelques pépites sur YouTube plus ou moins oubliées. Ainsi de Häxan (aussi titré en France La sorcellerie à travers les âges) qui figure en bonne place de la plupart des histoires du cinéma. Réalisé en 1922 par le danois Benjamin Christensen, dont le parcours le vit passer par l’Allemagne et les États-Unis avant de retourner sur sa terre natale pour achever sa carrière au début des années 1940, le film bénéficie donc d’une solide réputation que sa vision ne fait que confirmer. En ouvrant sa production par la représentation de gravures et de lithographies, le cinéaste inscrit sa mise en scène dans une tradition plastique marquée. Ses plans s’apparentent en effet à des tableaux associant beauté des ornements, faste des décors, réalisme des costumes et sidération des effets spéciaux. Surimpressions et transparences attestent de la singularité du médium cinématographique et anime de l’intérieur la fixité des cadres conçus par Christensen tout en rappelant le savoir-faire en matière d’effets visuels des films nordiques de l’époque (que l’on songe seulement à la somptuosité gothique de La Charrette fantôme du Suédois Victor Sjöström). Philtres d’amour, chaudrons fumants, sortilèges, découpes anatomiques et orgies au clair de lune assurent l’attractivité d’un récit engagé contre la bêtise humaine et d’images qui rappellent que le cinéma de l’époque n’avaient peur ni de la nudité ni des figurations sulfureuses.
Aucun ennui donc face à l’enchaînement de ces représentations délicieuses qui semblent échappées d’une toile de maître. La photographie de Johan Ankerstjerne développe une singulière poésie d’ombre et de lumière, privilégiant le contraste pour sublimer la peau lactée d’une actrice ou accentuer le grotesque d’une chair flétrie ou boursouflée. L’esprit de Caravage et de Rembrandt traverse l’ensemble d’un film qui n’accuse aucun temps mort et emporte le spectateur dans des cauchemars dignes du lyrisme morbide d’un Jérôme Bosch.
Et puis, il y a ces gros plans filmés en contre-plongée. On sait que Christensen fut acteur pour le Michaël (1924) de Carl Theodor Dreyer (le cinéaste revêtant d’ailleurs le rôle du Diable dans son propre film), mais un lien plus étroit encore réunit ici les deux réalisateurs. Difficile en effet de ne pas penser aux cadrages si singuliers de La Passion de Jeanne d’Arc, comme si Häxan anticipait sur les compositions doloristes et supplicatoires du chef-d’œuvre de Dreyer. Toutes ces raisons devront vous convaincre de vous jeter sur cet opus majeur qui a encore le mérite de souligner la place importante occupée par la cinématographie scandinave dans l’histoire du muet.
- HÄXAN (LA SORCELLERIE À TRAVERS LES ÂGES)
- Disponible en ligne et gratuitement sur YouTube
- Réalisation : Benjamin Christensen
- Avec : Maren Pedersen, Clara Pontoppidan, Elith Pio, Oscar Stribolt, Tora Teje, Astrid Holm, Johannes Andersen, Benjamin Christensen, Karen Winther…
- Scénario : Benjamin Christensen
- Production : Svensk Filmindustri
- Photographie : Johan Ankerstjerne
- Montage : Edla Hansen
- Décors : Richard Louw
- Date de sortie initiale : 18 septembre 1922
- Durée : 1h16