Le compositeur italien principalement connu pour ses nombreuses musiques de film est décédé le 6 juillet 2020 des suites d’une chute ayant provoqué une fracture du fémur. Il laisse derrière lui une œuvre unique et magistrale qui le vit collaborer avec certains des plus grands réalisateurs de l’Histoire du cinéma.
Des films, le cinéphile se rappelle d’abord des images. Un gros plan, un éclairage, un mouvement de caméra. Cette supériorité du visuel ne peut réellement être mise en cause. Et pourtant…
Le compositeur italien Ennio Morricone né en 1928 à Rome est parvenu à apposer une signature en tout point singulière sur l’atmosphère des films auxquels il collabora depuis le début des années 1960 (Mission ultra-secrète et Elle est terrible de Luciano Salce, I motorizzati de Camillo Mastrocinque ; Le Succès de Mauro Morassi et Dino Risi ; Duel au Texas de Ricardo Blasco).
La musique de Morricone possède une existence qui lui est propre, c’est-à-dire capable d’exister en dehors de son origine cinématographique. C’était d’ailleurs son idée : proposer des partitions qui dépassent le contexte d’un sujet particulier pour imposer une signature globale et transcendante. La force de son identité musicale était de parvenir à rassembler les extrêmes, associant la maîtrise symphonique et la légèreté populaire. On trouve ici les traces de sa formation.
D’abord trompettiste diplômé de l’Académie nationale de Sainte-Cécile à Rome, il se spécialise par la suite dans la composition, l’instrumentation, et la direction d’orchestre. Dès lors, Morricone navigue entre la composition d’œuvres classiques et l’arrangement musical pour la radio, la télévision ou la variété (il collabore ainsi avec l’italienne Milva et la française Mireille Mathieu).
Mais son vrai terrain de création est le cinéma. Parmi ses centaines de partitions, le cinéphile a le choix : On ne peut résumer sa carrière à ses seules compositions pour les films de Sergio Leone (de la trilogie du Dollar à Il était une fois en Amérique en passant par Il était une fois dans l’Ouest, Il était une fois la révolution, Mon nom est Personne, et Un génie, deux associés, une cloche, même si celles-ci synthétisent parfaitement l’art et la manière de son approche artistique).
Au style baroque du réalisateur, Morricone superpose une dimension opératique qui tout en reprenant à son compte la structure du leitmotiv wagnérien (dont on sait l’importance qu’il joua dans la musique de cinéma) assure un éclectisme total. La phrase lancinante jouée par l’harmonica, le déferlement des cordes, l’éclat des cuivres, la portée céleste des chœurs se mélangent pour mieux élever l’image. Car la musique de Morricone ne soutient ni n’agrémente la mise en scène du film, elle la traverse, la reconfigure avec une discrétion respectueuse.
Plutôt que de composition, il faudrait alors parler de personnification musicale, un apport particulier qui explique sans doute les collaborations soutenues de Morricone avec certains des plus grands réalisateurs : Pasolini (Des oiseaux, petits et gros, Théorème, Le Décaméron, Les Contes de Canterbury, Les Mille et Une Nuits, Salo), les frères Taviani (Allonsanfan, Le Pré), Brian De Palma (Les Incorruptibles, Outrages, Mission to Mars), Samuel Fuller (Dressé pour tuer, Les Voleurs de la nuit), Terrence Malick (Les Moissons du ciel, Voyage of Time)…
Récemment, cette association harmonieuse a séduit naturellement Quentin Tarantino, grand adepte de la profusion bigarrée. Les Huit Salopards, Oscar de la meilleure bande originale, a permis ainsi au compositeur de retrouver la violence fantasmatique de l’Ouest de celluloïd (devenu aujourd’hui numérique). Son style module alors le passage de quelques décennies. L’essentiel est là, bien sûr, et pourtant, la structure semble s’être légèrement décalée vers une expérimentation qui influe sur le rythme et la composition harmonique.
Authentique auteur, Morricone aura su préserver la sève de son art tout en remodelant certains de ses principes. Que reste-t-il après sa disparition ce 6 juillet 2020 ? Des films, des disques, et surtout une leçon essentielle : un film s’écoute autant qu’il se regarde.