Il était une fois dans l’Ouest se dévoilait dans les salles obscures italiennes il y a cinquante ans. ‘Mémoires du Cinéma’ retrace l’histoire de la conception de ce classique et chef-d’œuvre du cinéma signé Sergio Leone via les notes de production, la presse de l’époque, le regard de quelques grands réalisateurs, et plus encore…
Après les succès commerciaux de Pour une poignée de dollars suivi de Et pour quelques dollars, Sergio Leone tourne Le Bon, la Brute et le Truand, un troisième western et le dernier volet de ce qui va devenir « la trilogie du dollar ». Trois films qui vont lancer la carrière de Clint Eastwood et donner une stature internationale à son réalisateur. Pourtant, ce dernier souhaite passer à autre chose. Il envisage d’adapter à l’écran The Hoods, le roman d’Harry Grey, dans lequel l’écrivain raconte son passé de gangster pendant la Prohibition. Compte tenu de sa notoriété, il espère convaincre les studios hollywoodiens…
Un western pour une poignée de dollars
Au début des années 1960, Sergio Leone a déjà acquis une solide expérience en tant qu’assistant-réalisateur. Il a ainsi travaillé sous la direction de Vittorio De Sica, Carmine Gallone, Mario Camerini, Mario Bonnard, mais aussi Robert Wise, William Wyler, Fred Zinnemann ou Robert Aldrich, bien qu’il se soit querellé avec le cinéaste lors du tournage de Sodome et Gomorrhe (1962). Malgré son péplum, genre à la mode à l’époque, Le Colosse de Rhodes, le premier film qu’il réalise en solo, Leone est au creux de la vague, comme beaucoup de réalisateurs italiens.
Avec Pour une poignée de dollars et un budget dérisoire (200 000$), il s’attaque, sous le pseudonyme de Bob Robertson (allusion au pseudonyme de son père Roberto Roberti), à un remake de Yojimbo, d’Akira Kurosawa, qu’il transpose dans le monde du western. L’initiative de tourner des westerns en Europe n’est pas nouvelle. Les Espagnols exploitent déjà le filon et les Allemands, avec la série des Winnetou, une adaptation des romans de Karl May, ont trouvé en Croatie leur nouveau Far West.
Sergio Leone aurait souhaité une vedette hollywoodienne pour interpréter le rôle principal. Les noms de Charles Bronson, Henry Fonda et James Coburn ont été avancés. Pour des raisons budgétaires ou autres (l’agent d’Henry Fonda ne lui aurait pas remis le script), la production renonce. Elle songe alors à Richard Harrison, un acteur américain de série B installé en Italie. L’accord ne se fait pas, mais celui-ci recommande cependant un certain Clint Eastwood, qui a entre autres l’avantage de monter à cheval.
Il était une fois l’Amérique…
Peu optimiste sur le potentiel commercial de Pour une poignée de dollars, le distributeur opte pour une diffusion limitée en Italie, en septembre 1964. Le bouche à oreille va faire son effet et le film remporter un succès public inattendu, la critique étant partagée. Pour des problèmes de droits, il ne sortira aux États-Unis que dix-huit mois plus tard. Entre temps, Sergio Leone réalise Et pour quelques dollars de plus, puis Le Bon, la Brute et le Truand. Cette « trilogie du dollar » (ou « de l’Homme sans nom ») va donner ses lettres de noblesse au « western spaghetti », lancer la carrière de Clint Eastwood et donner à son réalisateur une stature internationale.
Cependant, Leone entend passer à autre chose. L’idée a germé dans son esprit pendant le tournage du Bon, la Brute et le Truand. Il veut adapter à l’écran The Hoods roman d’Harry Grey, le pseudonyme de Herschel Goldberg, dans lequel l’écrivain raconte son passé de gangster pendant la Prohibition… Il pense que sa notoriété va lui faciliter la tâche. Il aurait ainsi rencontré Warren Beatty, acteur et aussi producteur, alors dans une mauvaise passe, mais qui ne donne pas suite. Néanmoins, quelques mois plus tard, celui-ci interprétera et coproduira Bonnie and Clyde sous la direction d’Arthur Penn.
Partenaire sur la « Trilogie », United Artists refuse de se lancer dans l’aventure, tout comme Paramount. Le projet serait trop coûteux et peu rentable. Sergio Leone renonce à ce qui deviendra plus tard Il Etait une fois en Amérique mais finit par accepter les moyens que Paramount met à sa disposition pour réaliser un nouveau western… à la condition de garder le contrôle sur le film. Ce qu’il obtient.
Développement de l’histoire
Peu avant Noël 1966, dans une salle de cinéma qui vient de projeter Le Bon, la Brute et le Truand, Sergio Leone rencontre Bernardo Bertolucci et lui demande ce qu’il pense du film. Bertolucci a aimé et s’en explique. À la fin de la conversation, Leone lui propose de travailler sur le scénario de son nouveau film. Comme Bertolucci n’a rien en chantier depuis Prima della rivoluzione (1964), il accepte l’offre. Dario Argento, qui n’est encore que critique de cinéma, rejoint l’équipe. Entre janvier et mars 1967, ils (re)voient plusieurs westerns… américains.
En février 1982, lors d’un entretien avec Christopher Frayling, l’un de ses biographes, Sergio Leone déclarera : « (…) l’idée de départ était d’utiliser certaines conventions du western américain, ainsi que toute une série de références à des westerns spécifiques pour raconter ma version de la naissance d’une nation. » et de poursuivre, « (…) je voulais faire un film qui serait (…) un ballet des morts. Je voulais prendre les personnages les plus stéréotypés du western américain (…) pour rendre hommage au western et montrer les changements en cours à l’époque dans la société américaine. »
Argento et Bertolucci élaborent une histoire. Leone confie ensuite ce premier jet, qui représente 80 pages, à Sergio Donati, « script doctor » sur Et pour quelques dollars de plus et Le Bon, la Brute et le Truand, et scénariste sur trois westerns de Sergio Sollima, afin qu’il planche sur le scénario définitif, et « donne un sens à l’histoire et de la substance »…
Le scénario
Sur le quai d’une gare, dans les environs de Flagstone, une ville de l’Ouest américain, trois hommes vêtus de cache-poussière attendent un voyageur pour l’abattre. Mais ce mystérieux joueur d’harmonica, sans nom, est plus rapide et les tue. L’inconnu est à la recherche de Frank, un dangereux tueur à gages, pour se venger.
Pour l’heure, Frank s’est mis au service de Morton, le patron d’une compagnie de chemin de fer dont le chantier progresse vers la côte Pacifique. Il est chargé d’intimider Brett McBain, le propriétaire d’un immense terrain pourtant désertique, « Sweewater ». Expéditif, avec ses hommes il exécute froidement McBain et ses trois enfants.
C’est par la voie ferroviaire que Jill arrive à Flagstone. Ancienne prostituée, elle a épousé en secret McBain à La Nouvelle-Orléans. Elle découvre la famille assassinée. Héritière de la propriété, elle décide de rester avant de se raviser. « Harmonica », aidé de « Cheyenne » un bandit en cavale, tentent de l’en dissuader et l’empêcher de vendre le domaine pour une bouchée de pain…
Sergio Donati juge déterminante la contribution de Bertolucci à l’histoire. Son scénario demeure fidèle aux citations cinématographiques suggérées par le futur réalisateur de 1900, et développe également les personnages de « Cheyenne » et de Morton.
Cette  mosaïque de grands moments de l’histoire du western fait notamment référence à Johnny Guitare (Nicholas Ray), Le train sifflera trois fois (Fred Zinemann) ou L’homme des Vallées perdues (George Stevens), La Prisonnière du désert (John Ford), Le cheval de fer (John Ford) ou encore L’Homme qui tua Liberty Valance (John Ford).
Le casting
Jusqu’à présent, les femmes n’avaient joué qu’un rôle secondaire dans les films de Sergio Leone. Pour le cinéaste, « (…) c’est parce que mes personnages n’ont pas le temps de tomber amoureux ou de courtiser quelqu’un. Ils sont trop occupés à essayer de survivre ou à poursuivre leur objectif ». Pourtant, cette fois, exceptionnellement, il s’est laissé convaincre par Bertolucci.
Comme le budget n’est pas un obstacle (estimé entre 3 et 5 millions de $), Sergio Leone peut envisager un casting « haut de gamme ». Un temps, Carlo Ponti a été intéressé pour produire le film, aussi, le nom de Sophia Loren, son épouse, a été avancé pour être Jill McBain, mais le réalisateur lui préfère Claudia Cardinale. Il aimerait pouvoir compter à nouveau sur Clint Eastwood. Mais ce dernier dit non.
On parle aussi de Rock Hudson et de Warren Beatty, cependant, il a d’autres acteurs en vue. Il revient à la charge pour deux comédiens qu’il avait espéré engager précédemment. Si Charles Bronson accepte de jouer « Harmonica », Henry Fonda refuse. Leone se rend aux États-Unis pour tenter de le convaincre. Le comédien finit par demander l’avis d’Eli Wallach qui l’encourage à saisir l’occasion. Kirk Douglas était intéressé par se glisser dans la peau de « Cheyenne », mais c’est Jason Robards qui est retenu.
En guise de clin d’œil au Bon, la Brute et le Truand, le cinéaste a songé à réunir de nouveau Clint Eastwood, Eli Wallach et Lee Van Cleef dans la scène d’ouverture. Devant le refus d’Eastwood, le réalisateur renonce à cette idée. Ce sont donc Jack Elam (le dur d’une trentaine de westerns), Woodie Strode (trois westerns sous la direction de John Ford) et Al Mullock (déjà au générique du Bon, la Brute…) qui devinrent les trois tueurs.
Le tournage, la production
Tandis que le scénario commence à prendre forme, Sergio Leone part en repérages aux États-Unis. Il se rend dans le désert du Colorado, d’Arizona et du Nouveau-Mexique. Un moment particulier de ce séjour avec la visite guidée du site de « Monument Valley », haut lieu du cinéma de John Ford, en compagnie du chef opérateur Tonino Delli Colli et du responsable des décors Carlo Simi. Le réalisateur n’en délaisse pas pour autant les studios de Cinecittà à Rome, pour une bonne partie des intérieurs, et bien sûr le sud de l’Espagne, berceau de westerns méditerranéens et cadre de sa trilogie.
C’est à La Calahorra, non loin de Guadix, province de Grenade, que sera filmée la séquence d’ouverture et construite la ville de « Flagstone ». Quant à « Sweetwater », la propriété des McBain, elle trouvera place près de Tabernas, dans la province d’Almeria. Ainsi, la carriole conduite par Sam (Paolo Stoppa) et qui transporte Jill depuis la gare aura effectué l’une des plus longues randonnées de l’histoire du cinéma. De l’Espagne, elle est passée par Monument Valley avant de regagner l’Andalousie pour arriver à la ferme des McBain.
À l’approche du tournage, la production frôle la catastrophe. Henry Fonda a cru bon de porter des lentilles de contact pour changer la couleur de ses yeux bleus, ainsi qu’une moustache. Agacé, Sergio Leone lui a fait tout enlever. Quant à Jason Robards, c’est ivre qu’il se présente au réalisateur, risquant d’être mis à la porte sur le champ. Par chance, il n’y eut rien à lui reprocher par la suite. Les premières images sont tournées le 8 avril 1968 à Cinecittà , avec la scène d’amour entre Jill et Frank. Le clap de fin sera donné en juillet. Â
L’accueil
Coproduction italo-américaine, C’era una volta il West sort en décembre 1968 en Italie. Malgré le très bon accueil du public italien, le film ne connaîtra pas le même engouement que les trois précédents westerns de Leone. Aux États-Unis, il est présenté à New York en avant première dans deux salles le 25 mai 1969, avant sa sortie dans 24 salles, le 16 juillet. Afin de gagner une séance de plus par jour, Paramount invoque l’accueil mitigé lors de la première pour procéder à des coupures (20 minutes d’après certaines sources, 30 selon d’autres) qui dénaturent l’œuvre.
Cette version dite « internationale » connaîtra l’échec sur le marché anglo-saxon. Sur le territoire étasunien il ne fera que 1/6ème des recettes du Bon, La Brute et Le Truand, « plus rapide et moins bavard ». L’assassinat d’un enfant et le rôle à contre-emploi d’Henry Fonda peuvent expliquer cet échec commercial. Il Etait une fois dans l’Ouest, dans sa copie intégrale, sera pourtant un succès au box-office international, notamment en France et en Allemagne, dès sa sortie en 1969.
Pour la critique, tant aux États-Unis que dans les pays où le film est distribué, en dehors de quelques exceptions, les avis sont mitigés voire hostiles. Parmi les réactions négatives, il a été reproché à Sergio Leone d’avoir usurpé et dénaturé l’histoire de l’Ouest américain, alors qu’en fait il détournait les conventions du western. Cependant, au fil du temps, à l’image de 2001 : L’Odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick, le film va être apprécié à sa juste valeur. Plusieurs critiques vont même revenir sur leur jugement initial et reconnaître leur erreur (cf Jean A. Gili ci-dessous).
Il était une fois la Révolution sortira en 1971 et Il était une fois en Amérique en 1984. Le dernier volet de sa seconde trilogie et son dernier film. Victime d’une crise cardiaque, Sergio Leone meurt à Rome le 30 avril 1989 sans avoir pu mener à bien son projet sur le siège de Leningrad pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le cinéma de Sergio Leone
Le cinéaste déclara un jour : « Ennio Morricone n’est pas mon musicien. Il est mon scénariste. J’ai toujours remplacé les mauvais dialogues par de la musique, soulignant un regard. » À l’instar de ses autres autres longs métrages, la musique du compositeur est indissociable du film. Composés en amont, les morceaux musicaux de Il Etait une fois dans l’Ouest étaient joués sur le plateau avant ou pendant le tournage afin de mettre les acteurs dans l’ambiance, « de créer des rythmes ». À chaque personnage correspondait un thème. Ainsi « l’homme à l’harmonica » est-il personnifié par les quelques notes stridentes de son instrument. Mais Leone jongle aussi avec des moments quasi silencieux, comme dans la scène d’ouverture, la longue attente des trois tueurs sur le quai de la gare, où l’on n’entend qu’une mouche bourdonner, des gouttes d’eau tomber sur un chapeau ou des articulations de doigts craquer.
Le souci poussé des détails réalistes, « qui ne doivent pas être confondus avec l’exactitude historique » précisait Leone, le rythme lent, le temps dilaté, à un tel point qu’il en devient presque irréel ou l’alternance de plans larges (le trajet de la carriole à « Monument Valley ») et de (très) gros plans, notamment sur le regard des personnages, sont quelques-unes des autres caractéristiques du cinéma de Sergio Leone.