Sylvain Despretz

Sylvain Despretz, storyboarder sur Gladiator de Ridley Scott, avec l’un des casques de gladiateur qu’il a dessinés. © DR

À l’occasion de la parution de son ouvrage, Los ángeles, Sylvain Despretz, storyboardeur sur Gladiator, La Planète des singes, Panic Room, Harry Potter et la Coupe de feu ou encore Tron : l’héritage, nous a accordé un entretien durant lequel nous avons abordé différents aspects de son travail,  mais aussi sa vision du cinéma et de ses possibilités techniques.

 

 

 

Los angeles - Sylvain Despretz

Los ángeles de Sylvain Despretz – Éditions Caurette

CineChronicle : Quelle est l’origine de votre ouvrage ?

Sylvain Despretz : J’ai travaillé pendant des années avec Moebius (Jean Giraud). J’ai assisté en périphérie à la préparation de ses livres avec ses éditeurs. J’ai pu absorber toute l’organisation logistique de l’édition. C’est aussi peut-être une finalité naturelle quand on dessine depuis longtemps. Dans beaucoup de librairies ou magasins spécialisés, on trouve des ouvrages d’illustrateurs qui travaillent dans des domaines différents, comme le jeu vidéo. Ce sont souvent de jeunes auteurs. J’ai voulu attendre. Je préférai avoir un peu d’expérience avant d’inonder les étagères avec un livre de plus. L’autre raison pour laquelle j’ai patienté est que les artbooks ont tendance à m’ennuyer. J’en possède beaucoup. Pourtant, une fois parcouru, je ne les rouvre jamais.

 

CC. : Votre ouvrage ne se limite pourtant jamais à la démonstration technique. Les illustrations de vos œuvres parlent pour elles-mêmes, et vous les enrichissez d’un texte, sans nécessairement les relier aux films de façon traditionnelle.

S.D. : Oui, car c’est trop banal. J’ai d’abord voulu faire un livre qui me plairait personnellement, et je me suis dit qu’avec seulement des dessins, ce ne serait pas suffisant. C’est aussi quelque chose que j’ai appris avec la BD : les gens ne veulent pas regarder des images sans être guidés par une histoire. Le texte devait être plus important, au même titre qu’un scénario est plus important qu’une belle photographie dans un film. Et plus encore, le son est plus important que le scénario et l’image.

 

CC. : Il est vrai que certains ont encore tendance à oublier l’apport sonore des films, que ce soit dans les critiques ou les textes d’analyse.

S.D. : Dans l’ordre d’importance, il s’agit d’abord de casting et de son, ensuite d’histoire, puis d’image. Étonnamment, on peut tout regarder avec un acteur charismatique. Si son histoire est intéressante et que le son est bon, tout va bien. Le livre a le même principe. On peut montrer de beaux dessins, mais sans histoire, cela ne vaut rien. Mon livre raconte mon parcours. Je n’avais pas envie d’en sortir un sur les films des autres car tout mon travail emprunte déjà aux œuvres par procuration. J’ai eu des propositions d’éditeurs, mais dès que j’exprimais mon intention, cela ne collait pas.

 

J’ai donc pris la décision de m’autoéditer. Un ami m’a conseillé d’en discuter avec l’éditeur indépendant Caurette. Je leur ai soumis mon idée : publier un livre avec tous mes dessins sans mentionner des personnalités connues. Ils ont aussitôt accepté. En cours d’écriture, je suis néanmoins revenu sur cette idée. Car il n’y avait aucune raison de ne pas remercier ces grands noms que j’admire, qui ont été des influences pour moi, ou qui m’ont aidé, en expliquant dans le détail ce que j’admire dans leur travail. Il était important de citer des cinéastes comme David Lynch, William Friedkin, Stanley Kubrick. Je voulais également m’adresser aux nouvelles générations, d’entamer un dialogue avec eux en leur expliquant ce qui me semble intéressant dans ces films. Ce fut donc un perpétuel équilibre.

 

Sylvain Despretz, Mœbius et Ridley Scott - Credit Editions Caurette

Sylvain Despretz, Mœbius et Ridley Scott – Crédit Éditions Caurette

 

CC. : Un point particulièrement intéressant concerne son propos théorique, par exemple lorsque vous abordez la question du « focus ».

S.D. : Sur mes trente dernières années, seuls trois réalisateurs m’ont parlé de « focus » : Roman Polanski, Andreï Kontchalovsky et Ridley Scott. David Fincher l’évoque aussi. J’ai d’ailleurs repris une de ses citations, mais il n’entre pas dans les détails. J’ai également trouvé une ancienne interview d’Hitchcock où il aborde cette notion, d’une manière très distante, pour ne pas ennuyer son public. Il explique que son film le plus intéressant de ce point de vue est Fenêtre sur cour. Et en discutant avec des amis chefs opérateurs, je me suis aperçu qu’ils ne connaissaient pas non plus cette notion. L’auteur bilingue, qui s’est chargé de la traduction du livre, a trouvé le mot qui correspondait le mieux en français : la focalisation. Un terme employé en littérature. C’est sans doute l’un des secrets de polichinelle les mieux gardés du métier de réalisateur. Il n’y a qu’en travaillant sur le storyboard qu’on a affaire à ces conversations. Le problème de la focalisation ou du point de vue, c’est vraiment ce qui sépare les amateurs des grands cinéastes.

 

C.C. : Vous établissez un état des lieux de la production cinématographique contemporaine au cours duquel vous vous montrez souvent critique à l’égard de l’uniformisation de l’industrie hollywoodienne. Pourriez-vous nous expliquer votre opinion concernant les stratégies économiques actuelles à Hollywood, mais aussi dans les autres cinématographies mondiales ?

S.D. : Depuis la fin des années 1970, on assiste à Hollywood à la perte du pouvoir des scénaristes et des réalisateurs ; une des conséquences de la réforme économique du système avec l’acquisition des studios par des multinationales cotées en bourse. J’ai rencontré d’anciens patrons de studios et pris conscience qu’ils aimaient profondément le cinéma. Ils n’hésitaient pas à gratter leurs fonds de poches pour financer les films de réalisateurs qu’ils appréciaient.

 

Je me souviens de Richard Zanuck avec lequel j’ai travaillé sur La Planète des Singes de Tim Burton. Il m’a raconté que lorsque William Friedkin préparait son projet French Connection, il avait appris que celui-ci s’était rendu dans les bureaux de la police new-yorkaise pour étudier le sujet de son scénario, tout en incitant les acteurs à suivre les officiers en patrouille. Zanuck trouvait cette méthode tellement géniale qu’il a immédiatement proposé à Friedkin de financer son film. La mise en scène de cette époque ne peut pas être qualifiée d’ « artistique », mais plutôt d’ « hypnotique », dans le sens où, au-delà de tous les procédés techniques que l’on peut utiliser, le but est de mettre le public dans un état d’hypnose et de ne pas le lâcher. C’est la raison pour laquelle on aime revoir inlassablement certains films. Ces réalisateurs fonctionnaient en parfaite autonomie.

 

Aujourd’hui, c’est plus difficile. Même dans une série à succès, comme l’excellente Le Jeu de la dame, il y a toujours un côté surfait. Car les personnes à l’origine de ces productions ne sont pas au service de l’histoire, mais d’eux-mêmes. Après la révolution financière, qui a eu un véritable impact sur le système hollywoodien dans les années 1980, ils ont commencé à organiser des projections-tests durant lesquelles des spectateurs répondent à des questionnaires. C’est devenu un problème. Si vous proposez au public un plat magnifique, il le mangera sans se plaindre. Mais si vous lui demandez ce qu’il en pense et ce qu’il pourrait ajouter, vous vous retrouvez à faire des mélanges improbables et indigestes. Et tout est justifié par des financiers qui considèrent que c’est la base du business. Une situation de cacophonie totale. J’ai vu des réalisateurs se faire virer après quelques jours de tournage pour avoir fait des masters trop longs et pas assez de couvertures d’angles de caméra. On a ainsi assisté à un basculement du pouvoir, avec des personnes qui voulaient reprendre le contrôle de la fabrication des films. Ils ont expulsé celles avec une approche légèrement artistique.

 

CC. : Selon vous, la situation est la même en France ?

S.D. : C’est différent. On a une hantise de la technique avec des réalisateurs et des scénaristes auto-improvisés qui se fichent d’apprendre leur métier. Pareil pour les acteurs. À Londres, à New York et à Los Angeles, ils travaillent sans relâche. Et des milliers d’écoles leur sont dédiées. En France, les acteurs sont bons mais l’époque était sans doute plus traditionnelle ; les gens n’hésitaient pas à se mettre au boulot. Il y a eu d’excellents réalisateurs français dans les années 1950 et 1960, comme Claude Autant–Lara pour La Traversée de Paris ou Édouard Molinaro avec L’Emmerdeur.

 

Exrtrait Los Angeles - Sylvain Despretz - Editions Caurette

Exrtrait de l’artbook Los ángeles – Sylvain Despretz – Éditions Caurette

 

CC. : Beaucoup de réalisateurs aujourd’hui, comme David Fincher, Steven Soderbergh et Martin Scorsese, ont décidé d’investir le petit écran, que ce soit à la télévision ou sur les plateformes de streaming. Qu’en pensez-vous ?

S.D. : Pourquoi pas. J’ai vu Let Them All Talk de Steven Soderberg et je l’ai trouvé magnifique. La photographie est mauvaise mais au niveau du jeu d’acteur et du scénario, c’est un film que j’ai adoré. Le seul problème avec ce système est que les réalisateurs que vous mentionnez sont connus depuis plus de trente ou quarante ans. Finalement, la prétention de Netflix et des autres plateformes de VOD est de donner une chance à quels réalisateurs ? À Fincher et à Lynch ? C’est un peu de la supercherie, comme une façon de donner une possibilité à ces grands auteurs du cinéma qui ont déjà affirmé leur talent sur grand écran. Je ne vois pas une porte de sortie pour les autres cinéastes.

 

CC. : Vous revenez ponctuellement dans votre ouvrage sur la question du numérique et ses nouveaux outils qui ont contribué à transformer votre profession…

S.D. : Oui, pourtant le numérique n’a pas réellement transformé mon travail. Le story-board requiert une grande flexibilité. Ceux qui pratiquent le story-board sur tablette graphique se prennent très vite les pieds dans le tapis. Quand on leur demandera d’accompagner l’équipe pour les repérages ou en cas de mauvais temps et d’autres contingences, il leur sera impossible de travailler sur tablette. Le story-board reste un métier de vieux routards et de terrain. Il faut savoir rebondir très vite. Des storyboarders, qui travaillent dans l’animation ou le jeu vidéo, peuvent agir depuis chez eux, mais sur des films en prises de vues réelles, le numérique ne change rien. J’ai toujours un bloc, du papier et un stylo avec moi. Je reproduis ensuite au propre sur l’ordinateur. Mais je ne mets pas en cause l’utilité du numérique, plutôt le recours à certains procédés techniques, comme les drones qui permettent de coller des caméras dans tous les angles. À mon sens, ces nouveaux procédés ne présentent pas un avantage, en comparaison des techniques plus traditionnelles. Si David Lean en avait eu besoin pour tourner Lawrence d’Arabie, nous n’aurions pas eu ce chef-d’oeuvre.

 

CC. : Dans votre cas, cette question est importante car en plus de votre profession de storyboarder, vous allez passer derrière la caméra…

S.D. : Je suis en effet en train de préparer un documentaire, Brand X : The Desert Years / Brand X : La traversée du désert. Mais je ne suis pas particulièrement séduit par les nouvelles technologies. Beaucoup en parlent avant d’évoquer le plan à réaliser. Cela constitue un vrai problème. Un plan doit se concevoir en fonction d’un rêve. Il faut le travailler jusqu’à le définir clairement. On se pose ensuite la question de comment le réaliser. Si la technologie prend le pas sur le plan, on perd l’âme de sa réalisation. Ce n’est pas le plan en soi qui compte mais l’intention émotionnelle derrière.

 

CC : Y-aura-t-il une suite à votre ouvrage ?

S.D. : Un supplément est déjà proposé pour ceux qui achètent le coffret du livre. On a passé beaucoup de temps à équilibrer entre le texte et les dessins. L’éditeur s’est demandé ce qu’on pourrait offrir aux personnes détenteurs du coffret ou qui souhaiteraient prolonger l’expérience. On s’est rendu compte qu’il était possible de réaliser un second ouvrage avec le surplus d’illustrations restantes. Il s’intitule Midnight Show et trouve sa cohérence via son aspect plus nocturne.

 

CC. : Quels sont vos futurs projets ?

S.D. : Actuellement, je travaille sur mon documentaire consacré au groupe Brand X. Je mets en scène des événements qui correspondent à leur vie de façon allégorique. Pour l’heure, le tournage est interrompu pour raison sanitaire. C’est un film qui me tient à cœur car je l’ai en tête depuis vingt-cinq ans. Ce groupe n’existait plus et s’est reformé il y a trois ans. J’attends plusieurs réponses dont celle de leur premier batteur, Phil Collins. Réaliser un film me plaît vraiment, même s’il est difficile d’être financé dans l’économie actuelle. J’ai bien sûr eu d’autres projets de réalisation, notamment un film français, mais la société de production avait refusé mon choix de casting car l’actrice n’était pas connue. Ici, tout est différent, je m’autofinance. J’ai ainsi le luxe de pouvoir réaliser le film que je veux. Mais ce n’est pas facile, même si j’ai trouvé un investissement privé qui va me permettre d’avancer quand la situation sanitaire s’améliorera.

 

 

>> Lire notre critique du livre Los ángeles de Sylvain Despretz <<

 

 

 

  • LOS ANGELES. STORY-BOARDS & CHANTS DE SIRÈNES SUR CELLULOÏD
  • Auteur : Sylvain Despretz
  • Éditions : Caurette
  • Date de parution : 25 novembre 2020
  • Langues : Français uniquement
  • Format : 400 pages
  • Tarifs : 49 €

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Source: CBO Box office

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