Résumé : Au fil des pages, Sylvain Despretz nous fait entrer dans son quotidien, celui d’un artiste autant que d’un artisan qui a mis son talent au service d’une machine à rêves appelée « Hollywood ». Ponctué d’anecdotes autant que d’observations et de réflexions sur les deux décennies écoulées, il est une source précieuse et unique pour tous ceux qui s’intéressent au cinéma et à l’art en général. Los ángeles est un livre multiple, à l’image des anges et dieux du 7e art qui peuplent la ville du même nom. Sylvain Despretz y officie depuis plus de vingt ans, dans les coulisses, et aux côtés des plus grands. Artiste de renom mais travailleur de l’ombre, il a mis en image les visions de Ridley Scott, David Fincher, Andrei Konchalovsky, Mike Newell, Tim Burton, Stanley Kubrick et bien d’autres encore. Storyboard, concept art, peinture, illustration… la palette de ses talents se déploie pour venir éclairer d’un jour nouveau des œuvres emblématiques (Le 5e élément, Gladiator, La Chute du faucon noir, Harry Potter, Eyes Wide Shut…).
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Du story-board, le film de cinéma retient d’abord l’idée d’une transparence. S’effaçant au profit des images en mouvement, le dessin se constitue malgré tout comme l’un de ses gestes fondateurs. La récente réhabilitation du travail fourni par Saul Bass dans la réalisation de certaines séquences de Psychose tend à le prouver : le storyboarder est celui par lequel une part de l’imaginaire s’active. Cette nature de force invisible, Sylvain Despretz en a fait son métier, collaborant avec de grands noms de l’industrie cinématographique, à Hollywood et ailleurs. De cette fonction, l’artiste a compris son intention première : devenir réalisateur, motivation qui s’est concrétisée avec The Desert Year, film documentaire consacré au groupe Brand X, actuellement en cours de tournage. Loin d’être factuelle, cette information renseigne sur la personnalité de l’auteur. Il y a d’abord chez lui une conscience aigüe de son apport dans la création filmique. Cette qualité se confond avec une lucidité qui explicite le regard désabusé que porte Despretz sur l’univers hollywoodien contemporain. Devenus des usines dirigés par des algorithmes, les studios ont voulu écarter la prise de risque en réduisant la part d’humanité qui faisait la valeur de leurs anciennes productions. Ce constat, Despretz l’établit à partir de ses propres expériences. Car si au cinéma le dessin a pour motivation de s’effacer, le présent album en conserve les traces à la manière d’une résistance. Volontairement, l’auteur a choisi de ne pas mentionner les films desquels ces planches de story-boards sont tirées. Ce choix se doit d’être respecté. Chacune des illustrations reproduite porte en elle une valeur artistique, esthétique, humaniste, qui lui est propre. De fait, il se dégage de la mise en page de cet ouvrage une espèce d’unité morcelée par les techniques utilisées et par les textes qui s’invitent ponctuellement au cours de la vision, se développant à travers un style direct mais néanmoins propice aux apartés romanesques reproduisant par l’écrit les représentations fantasmatiques des dessins et rappelant ce ton apocalyptique qui, de Saul Bellow à Bret Easton Ellis, traverse la littérature nord-américaine.
Despretz développe une philosophie qui prend parfois la forme d’une mise en garde. À la manière de Jean Giraud qui fut son mentor et ami, l’auteur préconise une juste mesure, une prise de conscience de ses moyens (propres et techniques), et une défiance à l’égard d’une industrie qui désire plus que jamais reformater les rêves des spectateurs et l’esprit des artistes qui ont accepté de se mettre à son service.
Le style de Despretz impressionne doublement. D’abord par l’indéniable qualité de ses planches qui attestent d’une influence profuse. On songe par moments à Frank Miller, à l’école des Humanoïdes Associés, mais aussi au romantisme qui fit de la peinture le support matérialisé d’une expression intérieure. Ensuite, par ce qu’il faut bien nommer une éthique de la création. Despretz vise l’essentiel, une approche qu’il explicite finement à travers ses réflexions qui réhabilitent la valeur ontologique de l’image cinématographique. L’impression de réalité qui se dégage de cette dernière ne doit jamais être mise à mal, mais doit au contraire servir le caractère concentrique du récit. L’impact visuel du film ne doit donc jamais dépasser la narration mais toujours la soutenir.
Loin de se présenter comme une profession de foi, cette logique retrouve les principes du grand cinéma hollywoodien, celui des Wilder, Hitchcock, et Kubrick. L’intérêt de cette vision est qu’elle se déploie ici de l’intérieur, rappelant qu’avant la projection et la vaste campagne de médiatisation du produit, le film se présente comme un rêve collectif dont la responsabilité incombe à chaque collaborateur de création.
> Lire notre interview avec Sylvain Despretz sur son livre Los ángeles <<
- LOS ANGELES. STORY-BOARDS & CHANTS DE SIRÈNES SUR CELLULOÏD
- Auteur : Sylvain Despretz
- Éditions : Caurette
- Date de parution : 25 novembre 2020
- Langues : Français uniquement
- Format : 400 pages
- Tarifs : 49 €