Synopsis : Une odyssée visuelle et musicale qui suit l’histoire de deux robots dans leur quête pour devenir humains.
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Deux mois après l’annonce officielle de la séparation du duo casqué, Arte rend hommage aux Daft Punk en diffusant sur son site leur long-métrage de 2006, Electroma. Le film, présenté au Festival de Cannes cette même année et en lice pour la Caméra d’Or, avait été accueilli par des critiques mitigées. L’objet a en effet de quoi surprendre. Le duo avait déjà travaillé en 2003 sur le scénario du space opera d’animation Insterstella 5555, ainsi que sur une compilation de cinq de leurs clips, dont l’un réalisé par le duo, sortie en 2000 sous le nom de DAFT : A Story About Dogs, Androids, Firemen and Tomatoes. Mais jusque-là, les Daft Punk ne s’étaient jamais aventurés derrière la caméra pour un long-métrage. Le résultat de cette aventure est à l’image de la communication du groupe : cryptique, énigmatique, dépouillé. Jusqu’à la durée du film, à peine plus d’une heure. On y découvre les deux robots, en voiture dans le désert californien, qui arrivent dans une ville où toute la population porte leurs casques, en agissant comme une société somme toute assez banale. Les deux se rendent dans une installation de haute technologie où d’étranges personnages immaculés, quasi invisibles dans la pièce d’un blanc éclatant, commencent à façonner des visages humains avec du latex liquide versé à même les casques. Mais à peine ressortis, ils font face à un soleil brûlant, faisant fondre leurs visages, ainsi qu’aux regards choqués de la population, qui finit par les traquer. Cachés dans des toilettes, ils finissent de détruire leurs prothèses de latex, et entament une longue marche dans le désert. Une marche qui finira par la mise à mort programmée de l’un des robots, puis de l’autre. Difficile à première vue de trouver un sens à ce voyage, sans le moindre dialogue.
On peut commencer par y trouver l’étendue de leur culture cinématographique, et en particulier de Thomas Bangalter, qui s’est chargé lui-même de la photographie du film. La longue marche dans le désert et l’usage du plan-séquence évoquent fortement l’imagerie du Gerry de Gus Van Sant, sorti quatre ans plus tôt. On peut aussi voir dans ces plans désertiques un appel aux mythes de David Lean, voire à l’onirisme d’Alejandro Jodorowsky. Mais la thématique de fond qui se dégage reste claire : dans un monde où tous deviennent des robots, comment être des humains ? C’est là qu’il faut resituer le film dans la carrière des Daft Punk. En 2006, le duo a à son actif trois albums : la surprise Homework (Around The World, Da Funk, Rollin’ and Scratchin’), qui vient chambouler la scène électronique française encore balbutiante ; le carton Discovery (One More Time, Harder Better Faster Stronger, Aerodynamic), mis en image dans Interstella 5555, qui vient les installer comme des stars mondiales de la pop ; et l’ovni Human After All (Television Rules The Nation, Technologic, Human After All), qui prend à rebours toutes les attentes.
Le public voulait à nouveau des tubes pop, il reçoit un album aux sonorités agressives et porteur d’un discours engagé contre le système médiatique et le star system. Face à ce flop, le duo se retrouve à un carrefour. Le risque de tomber en désuétude les guette. Et en même temps, pour des gens aussi fermés au star system, prenant pour telle quelle l’image véhiculée par les médias de masse, on peut se demander si la désuétude n’est pas une occasion en or de quitter ce grand cirque. Tout ce questionnement traverse Electroma ; de l’arrivée du duo dans une ville où tout le monde porte des casques à l’hostilité de cette même population quand le duo s’affiche relooké avec des visages qui sont des caricatures de ceux de Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo. On peut facilement y voir la représentation de l’accueil mitigé du public face à la volonté du duo de se dire « human after all », comme l’annonce dès le départ la plaque d’immatriculation de leur voiture.
Face à ce public hostile, les doutes du duo se font au grand jour. Est-ce un aperçu précurseur des raisons l’ayant poussé à se séparer quinze ans plus tard ? On peut à minima entrevoir l’amorce du tournant enclenché à partir de 2006, avec la tournée Alive et sa légendaire pyramide, le début de la production de son album-testament Random Access Memories, et la diversification de ses activités en solo (Thomas revient à la bande-son des films de Gaspar Noé et Guy-Manuel produit des morceaux pour Sébastien Tellier, Kavinsky, ou encore Charlotte Gainsbourg). Dès lors, à l’aune de ce qui a été la carrière du duo français avant et après la sortie du film, Daft Punk’s Electroma s’avère être une œuvre expérimentale intrigante et un moyen assez captivant de se raconter en tant qu’artistes.
Théotime Roux
- DAFT PUNK’S ELECTROMA
- Diffusion : disponible sur le site d’Arte.tv du 18 avril au 3 juin 2021
- Réalisation :Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-
Christo (Daft Punk) - Avec : Peter Hurteau, Michael Reich, Ritch Lago Bautista, Daniel Doble, Athena Stamos et Bradley Schneider
- Scénario : Thomas Bangalter, Guy-Manuel de Homem-Christo, Paul Hahn, Cédric Hervet
- Production : Paul Hahn
- Photographie : Thomas Bangalter
- Montage : Cédric Hervet
- Décors : Steven Sinclair
- Costumes : Lisa Harris
- Musique : Steven Baker
- Distribution : Daft Arts, Wild Bunch
- Durée : 1h07
- Sortie initiale : 24 mars 2007 au cinéma du Panthéon