Résumé : Soucieuse d’emmener le spectateur vers plus de lucidité, l’œuvre de Claude Chabrol emprunte très souvent le détour du cinéma de genre pour mieux sonder l’inégalité sociale ou interroger l’illusion d’émancipation à travers le sort de rêveurs qui courent à leur perte, pour en définitive, derrière la distance du réalisme stylisé, nous rendre proches de monstres qui ne le sont guère moins que l’entourage ou la société dans laquelle ils évoluent.
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Comme de coutume, la revue Éclipses se propose de revisiter l’œuvre d’un cinéaste consacré à travers différents articles dont la méthode repose pour l’essentiel sur l’analyse de séquences. Dans le cas de Claude Chabrol, cette approche affirme toute sa pertinence, permettant de valoriser la cohérence d’une œuvre qui se définit principalement par un goût pour les extrêmes. Difficile a priori de rapprocher le réalisateur du Beau Serge (1958) et des Cousins (1959) de celui du Docteur M (1990) et de Bellamy (2009). Riche de près de soixante longs métrages réalisés pour le cinéma et de près d’une trentaine de productions pour le petit écran, la filmographie de Chabrol ne se laisse pas aborder facilement et ses admirateurs ont généralement tendance à se focaliser sur ses principales réussites qui, de ses premières réalisations marquées du sceau de la Nouvelle Vague à ses opus majeurs sortis dans les années 1960 et 1970 (Que la bête meure [1969] et Le Boucher [1970] en tête), dressent le portrait d’un cinéaste aussi à l’aise avec l’esprit du drame familial qu’avec l’atmosphère du film criminel. Violaine Caminade de Schuytter, agrégée de lettre et coordinatrice du présent volume, a ainsi raison de décrire l’art de Chabrol comme celui d’une incommodation, perturbant le critique qui chercherait à interpréter son œuvre à travers une lecture auteuriste. Pourtant, de grands traits communs relient bel et bien ses différents films. En premier lieu, celui de la recherche d’un contraste qui voit Chabrol aborder genres, thématiques et motifs selon l’idée d’une opposition incessante et constructive. Le rapport de forces établi par le couple, essentiel chez lui, se retrouve aussi à travers la confrontation des pratiques.
De la page écrite à l’image en mouvement, les auteurs soulignent les qualités d’adaptateur de Chabrol qui retient de ses collaborations avec le scénariste Paul Gégauff un intérêt pour l’histoire manuscrite qui se constitue comme le moteur principal du récit cinématographique. Cet intérêt pour le texte ne retire rien à l’excellence d’une mise en scène brillamment analysée par les différents contributeurs de ce volume et qui permet au cinéaste d’approfondir certains codes génériquement établis (ainsi de son incursion dans le fantastique avec Alice ou la dernière fugue [1972] qui bénéficie ici d’une étude approfondie et particulièrement stimulante) ou d’aborder des postures (la grimace) qui tendent un miroir à nos propres comportements d’animaux sociaux.
La recherche de confrontation concerne aussi le tournage, moment particulièrement apprécié par Chabrol qui éprouve dans toute sa complexité le premier facteur humain du Septième art : l’acteur. Ses relations professionnelles avec Stéphane Audran, Jean Yanne ou Isabelle Huppert donnent ainsi lieu à de nombreux propos intéressants qui permettent d’éclairer sous un nouveau jour la figure du cinéaste. Car derrière sa désinvolture apparente, Chabrol s’est toujours révélé un orchestrateur expert, conscient des qualités et des limites de ses films, feignant d’incarner le statut du cinéaste touche-à-tout pour mieux assumer, en toute humilité, son goût pour l’insolite, le bizarre, et les (grands) écarts.
- CLAUDE CHABROL. CONTES CRUELS
- Autrice : Violaine Caminade de Schuytter (sous la direction de)
- Éditions : Éclipses n°69
- Date de parution : Décembre 2021
- Langues : Français uniquement
- Format : 168 pages
- Tarifs : 15 €