Synopsis : Karim, un pianiste de talent, a l’opportunité unique de passer une audition à Vienne. La guerre en Syrie et les restrictions imposées bouleversent ses projets et la survie devient un enjeu de tous les jours. Son piano constitue alors sa seule chance pour s’enfuir de cet enfer. Lorsque ce dernier est détruit par l’Etat Islamique, Karim n’a plus qu’une idée en tête, trouver les pièces pour réparer son instrument. Un long voyage commence pour retrouver sa liberté.
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Présent parmi les films sélectionnés lors de l’édition annulée du Festival de Cannes en 2020, Le Dernier Piano aura finalement les honneurs d’une sortie en salle dans l’Hexagone. Le premier long métrage de fiction du réalisateur et scénariste libanais Jimmy Keyrouz s’inscrit dans une longue tradition cinématographique qui fit de l’instrument de musique un symbole de liberté et de résistance. À la manière de La Leçon de piano (1993) de Jane Campion, du Pianiste (2002) de Roman Polanski, du Concert (2009) de Radu Mihaileanu ou encore de Cold War (2018) de Pawel Pawlikowksi, la musique assure le lien entre la tragédie historique et le drame intimiste en faisant de l’interprétation (musicale et identitaire) le principal enjeu de la fiction cinématographique. En s’attachant à la représentation d’une Syrie emportée par le radicalisme religieux de l’État islamique, Keyrouz profite de l’instrument pour mettre en relief l’absurdité et la violence du dogmatisme face à la liberté du jeu. En associant très directement la figure de Karim (Tarek Yaacoub), pianiste rêvant de fuir en Europe, à celle de l’enfant qu’il a choisi de protéger, le cinéaste met en scène un univers dont le manichéisme apparent n’empêche la présence de quelques fulgurances scénaristiques. Ainsi de la quête entreprise par Karim parti à la recherche des pièces nécessaires à la réparation de son instrument que Keyrouz monte en parallèle avec l’endoctrinement de la jeunesse syrienne. En une série de séquences, le cinéaste approfondit la thématique de l’exil en rappelant en quoi celui-ci peut se rapprocher de la fugue pour apparaître comme étape essentielle de la construction identitaire.
Partir pour mieux revenir et peut-être parvenir à reconstruire l’espoir que l’ennemi a tant bien que mal chercher à arracher à ces résistants cachés dans des caves pour fumer, deviser, boire, rire. Il s’agit tout simplement de vivre en profitant de moments de paix sans doutes précaires mais qui ont pour eu cette authenticité qui fait défaut au fanatisme. Face aux villes détruites par les obus et occupées par les soldats, Keyrouz s’emploie à représenter le contre-champ, soit les déserts immenses de l’Orient qui rappellent que le sable ou la poussière furent les premiers éléments à partir desquels s’édifièrent les civilisations.
Si l’on regrette que la mise en scène demeure parfois un peu trop conventionnelle (dommage que l’énergie du plan-séquence inaugural n’ait pas trouvé de prolongement dans la suite du film), Le Dernier Piano laisse non sans intelligence le champ libre à ses acteurs. C’est évidemment Tarek Yaacoub que le film participe principalement à révéler. Encore inconnu du grand public, l’acteur qui avait déjà obtenu un rôle dans Very Big Shot (2019) de Mir-Jean Bou Chaaya (disponible sur Netflix) marque par l’intensité de son regard clair et l’imprécision délibérée d’une démarche qui exprime les incertitudes de son personnage.
Entre la fable et la chronique, Le Dernier Piano ne laisse pas indifférent, prouvant qu’il est encore possible de défendre une thèse sans pour autant tomber dans le didactisme le plus creux.
- LE DERNIER PIANO (Broken Keys)
- Sortie salles : 13 avril 2022
- Réalisation et Scénario : Jimmy Keyrouz
- Avec : Tarek Yaacoub, Rola Baksmati, Mounir Maasri, Ibrahim El Kurdi, Julien Farhat, Badih Abou Chakra, Sara Abi Kanaan, Adel Karam, Hassan Mrad, Gabriel Yammine, Rodrigue Sleiman, Fadi Abi Samra, Said Serhan, Layla Kamari, Michel Adabaschi
- Production : Antoun Sehnaoui
- Photographie : Joe Saade
- Montage : Yves Beloniak et Maria Malek
- Musique : Gabriel Yared
- Décors : Issa Kandil
- Costumes : Lara Mae Khamis
- Distribution : Alba Films
- Durée : 110 minutes