Synopsis : Une riche famille anglaise passe de luxueuses vacances à Acapulco quand l’annonce d’un décès les force à rentrer d’urgence à Londres. Au moment d’embarquer, Neil affirme qu’il a oublié son passeport dans sa chambre d’hôtel. En rentrant de l’aéroport, il demande à son taxi de le déposer dans une modeste « pension » d’Acapulco…
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Si Sundown rappelle inévitablement L’étranger d’Albert Camus (« maman est morte », l’indifférence à l’humanité, le meurtre sur la plage et l’éblouissement du soleil), Michel Franco tire de ce décalage entre un homme et son environnement un récit qui s’éloigne rapidement de celui de Meursault. Il est ici question d’une échappée : celle d’un nanti abandonnant sa famille à Acapulco après l’annonce du décès de sa mère. Sa fuite ressemble à une démission. Il s’éloigne à peine, ce sont sa sœur et ses enfants qui retournent au pays pour assister aux funérailles, tandis que lui troque simplement son hôtel luxueux pour un autre plus abordable. Aux piscines à débordements et aux restaurants chics succède une plage bondée, sur laquelle Neil Bennett passe ses journées à fixer la mer, en compagnie de quelques locaux rencontrés ici et là. Ce quotidien, filmé à une distance glacée comme un enchaînement de moments oisifs, emporte quelque chose de tristement idyllique. Une romance muette avec une jeune femme fait de cette errance un fantasme désabusé. Rien n’est dit sur leur relation, tout comme aucun jugement n’est prononcé à l’encontre de Neil, qui traverse le film imperturbablement. L’éternité de ces vacances paraîtrait figée dans le temps si elle n’était pas interrompue par les rapports avec la famille Bennet, de plus en plus tendus. C’est qu’avant toute chose, Sundown se concentre sur un multimilliardaire quittant son milieu social. La condition financière de cette désertion n’est d’ailleurs jamais cachée, et il ne s’agit pas de faire de Neil un bourgeois émancipé rejoignant les prolétaires. Renier le monde est un privilège de riche, ce qui n’ôte rien à la détresse sourde de ce renoncement.
Avec sa famille d’héritiers, Neil ne communique plus que par avocat interposé, jusque dans cette scène terrassante où la discussion avec les enfants est remplacée par la signature silencieuse de documents passant de main en main. Les liens, dès lors qu’ils ne sont pas purement professionnels, sont tous pourris par une rancœur réciproque. Pourtant, Michel Franco n’embrasse pas totalement la maltraitance complaisante d’un Haneke. L’égarement impassible de son personnage principal, quand il n’est pas confronté à des sursauts de violence meurtrière ou à la cupidité de sa famille, touche une sorte de beauté paisible. L’attrait du film réside dans l’ambiguïté de cet être odieux que rien ne semble pouvoir affecter, dont l’atrocité du comportement n’est ni niée, ni appuyée. Sa tranquillité rend son départ fascinant, séduisant parce qu’incompréhensible.
La tendance du film à cacher des informations s’inscrit dans cette dynamique. D’abord père supposé, Neil se révèle finalement être un oncle. Tout comme son rôle familial, sa classe sociale et sa condition mentale se dévoilent au compte-goutte, effaçant certaines zones d’ombre pour en produire d’autres, plus mystérieuses encore. N’est réellement accordé au spectateur que la contemplation de sa routine face à la plage, où le temps s’écoule calmement et où la mer nettoie le sang des hommes. La psychologie n’est approfondie qu’à deux reprises, lors d’apparitions de porcs qui pourraient témoigner d’une culpabilité superficielle, mais dont Michel Franco se débarrasse assez vite. Comme pour les poissons de l’introduction, le magnétisme de la souffrance animale semble tenir autant d’un attrait malsain que d’un élan d’empathie. Jusqu’à la fin, on ne saura jamais ce qui, du dégoût ou de la mélancolie, a motivé la retraite de Neil Bennett.
Joffrey Liagre
- SUNDOWN
- Sortie salles : 27 juillet 2022
- Réalisation : Michel Franco
- Avec : Tim Roth, Albertine Kotting McMillan, Charlotte Gainsbourg, Samuel Bottomley, Godriyah Faoziati, Ely Guerra, Javier Mendez, Raúl Peña Montalbán, Alfredo Evangelista…
- Scénario : Michel Franco
- Production : Eréndira Núñez Larios, Cristina Velasco, Michel Franco
- Photographie : Yves Cape
- Montage : Óscar Figueroa, Michel Franco
- Décors : Daniela Carrillo
- Costumes : Gabriela Fernandez
- Distribution : Ad Vitam
- Durée : 1 h 22