Synopsis : Avant le vernissage de son exposition, le quotidien d’une artiste et son rapport aux autres, le chaos de sa vie va devenir sa source d’inspiration…
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Auréolé du succès de First Cow, il n’était pas absurde d’attendre du nouveau film de Kelly Reichardt une montée en gamme. Montée en gamme qui n’aurait évidemment pu être que superficielle, son cinéma étant déjà d’une précision remarquable. Inversement, Showing up apparaît comme son film le plus minimaliste depuis Wendy et Lucy, c’est-à-dire depuis quatorze ans. Après deux passages par le western, l’illustration d’un attentat écologiste et le quadruple-portrait de Certaines femmes, la cinéaste revient à un contexte banal, quotidien, celui d’une étudiante en art, Lizzie, préparant son exposition. C’est que la simplicité a toujours été le moteur de son cinéma : il faut se souvenir que First Cow illustrait déjà la naissance du capitalisme par la vente à petite échelle de beignets frits. Si Kelly Reichardt n’est pas faite pour le grandiose, c’est que sa mise en scène s’attache au concret. Elle ne manie pas des concepts mais du réel, du tangible. Aussi, l’école d’art de Showing up est-elle le vecteur d’une déconstruction de l’imaginaire entourant l’acte créateur. Sculpture, peinture, couture, projection et plusieurs autres activités s’imposent ici et là, l’espace de quelques secondes, à l’occasion d’un coup d’œil fugace durant la traversée d’un couloir. Non content de rendre compte de l’effervescence de l’établissement, ils s’opposent aussi au stéréotype de l’artiste comme être éthéré, frappé par la grâce, dont le génie permettrait de concevoir ex-nihilo des chefs d’œuvre intemporels. Ce qui se joue, c’est la lutte contre la matière, le travail manuel qui consiste à déformer un matériau (argile, tissu, mousse) pour le plier à une idée. Idée qui ne sera, le réel et l’imaginaire étant injoignables, jamais complètement atteinte. Par exemple à cause d’un anodin défaut de cuisson.
Cet artisanat désidéalisé est lui-même victime d’autres interférences : celles du monde extérieur. Un chat qui manque de croquettes, un pigeon qu’il faut soigner, une chaudière qui ne fonctionne plus : tout ne contribue qu’à ancrer un peu plus cette étudiante dans la trivialité du tout-venant. Forcément, elle en ressort frustrée. Et c’est peut-être là que se trouve la plus grande variation dans l’œuvre de Reichardt : l’ironie. Car si Lizzie subit avec amertume la série d’événements qui la dévient de son exposition, la mise en scène maintient quant à elle un cap radicalement paisible, parfois même comique, d’où nait un touchant décalage. C’est qu’au fond, tout va plutôt bien dans Showing up. Tout comme la course poursuite finale de First Cow n’était jamais parasitée par de la tension, les affres de Lizzie se limitent à son propre point de vue, personnage démuni dans un film régulièrement solaire.
Et pourtant, numéro d’équilibriste osé, elle n’est jamais directement moquée. Dans une scène, alors qu’elle travaille sur l’une de ses statues en pleine nuit, la voix de sa voisine résonne en off, accompagnée de celle d’un homme. Lizzie s’interrompt. Il n’y a ni grimace ni larme, pas même un mot, uniquement cette pause dans l’ouvrage qui résume tout le désarroi de la solitude. De loin le plan le plus mélancolique du film, il brille avant tout par son épure. C’est là le grand art de Reichardt, celui d’une ligne claire qui se concentre sur l’essentiel, qui ne cherche pas à complexifier inutilement les évidences. Rares sont les réalisateurs capables de se tenir à une telle rigueur dans la simplicité, encore plus rares sont ceux qui arrivent à en extraire une beauté aussi pure.
Joffrey Liagre
- SHOWING UP (Showing Up)
- Sortie salles : 3 mai 2023
- Réalisation : Kelly Reichardt
- Avec : Michelle Williams, Hong Chau, André 3000, Todd-o-Phonic Todd, Lauren Lakis, Denzel Rodriguez, Jean-Luc Boucherot, Ted Rooney, Maryann Plunkett, Heather Lawless
- Scénario : Jonathan Raymond, Kelly Reichardt
- Production : Neil Kopp, Vincent Savino, Anish Savjani
- Photographie : Christopher Blauvelt
- Montage : Kelly Reichardt
- Décors : Amy Beth Silver
- Costumes : April Napier
- Distribution : Diaphana
- Durée : 1 h 48