Oppenheimer : Christopher Nolan dynamite le film biographique

Publié par CineChronicle le 2 août 2023
Cillian Murphy dans Oppenheimer de Christopher Nolan

Cillian Murphy – Oppenheimer de Christopher Nolan

Premier biopic du réalisateur, Oppenheimer est avant tout un film de Christopher Nolan : un enchevêtrement labyrinthique où rien ne peut être pris pour argent comptant.

 

 

 

Oppenheimer de Christopher Nolan - affiche

Oppenheimer de Christopher Nolan – affiche

Deux semaines après sa sortie en salle, Oppenheimer, le film sur la vie de l’inventeur de la bombe atomique, continue de fasciner et de glacer le sang. Derrière ce biopic, plane l’ombre d’un puissant film d’horreur. L’anéantissement de l’Humanité par l’humanité n’a jamais été aussi redoutable qu’avec la menace nucléaire. Au-delà du récit historique, ce sujet terrifiant et ce personnage controversé constituent en fin de compte le terreau d’un nouveau grand Nolan.

 

Menace nucléaire : un défi technique et moral

 

Le choix d’un sujet terre à terre ne limite pas les ambitions du film, loin de là. Si Dunkerque pouvait passer pour une pure expérimentation technique, Oppenheimer combine d’une façon exemplaire défis techniques et sémantiques. Il s’agit, d’une part, de reconstituer avec autant de crédibilité que possible et de la manière la plus impactante l’imagerie de la bombe nucléaire : le célèbre champignon de fumée radioactive qui hanta toute la fin du XXème siècle et demeurera à jamais l’une des plus grandes peurs de l’humanité.

 

Cette imagerie, que Christopher Nolan restitue avec le moins d’effets permis, est à n’en pas douter l’apothéose du film. Moment d’ailleurs souligné par la mise en scène d’un dispositif du regard : les chercheurs observent la déflagration à travers des filtres ou lunettes, comme nous, spectateurs, à travers un écran. Le sens moral fait choisir au réalisateur de faire exploser à nos rétines l’essai Trinity, et non les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki. Ce choix éthique autorise à la séquence une certaine poésie, rehaussée par l’absence totale de son : le bruit réel de la bombe n’empêche pas le spectateur de s’émouvoir de la prouesse des scientifiques ; cependant, le refus de toute autre dramatisation sonore le laisse libre d’apposer à l’embrasement aussi splendide que terrifiant son propre ressenti.

 

Cette seule scène condense toute la finesse de mise en scène qu’Oppenheimer déploie pour aborder un sujet aussi sensible que l’arme nucléaire. Et l’apothéose n’a lieu que parce qu’elle advient après deux heures de long-métrage qui interrogent la légitimité d’un armement aussi létal. Le film sillonne tous les avis, sans jamais en embrasser pleinement aucun :  la crainte d’une bombe nazie et l’implication personnelle d’Oppenheimer envers le peuple juif, le défi scientifique que représente la fission de l’atome, la course à l’armement avec l’URSS déjà à ses prémices, la volonté des protectionnistes américains de se doter d’une arme de dissuasion radicale, d’en faire la démonstration malgré la capitulation du régime hitlérien, les protestations de la communauté scientifiques et les arguments avancés pour justifier le largage de deux bombes le 6 août 1945.

 

Cillian Murphy dans Oppenheimer de Christopher Nolan

Cillian Murphy – Oppenheimer de Christopher Nolan

 

Un monde explosé

 

La situation politique et militaire du monde à l’aube de l’ère nucléaire, telle que la dépeint Oppenheimer, est aussi nébuleuse que la psyché du protagoniste éponyme. Mu tantôt par des desseins humanistes, tantôt par la soif de vérifier ses théories, tantôt par le remords, J. Robert Oppenheimer demeure pour le public un personnage indescriptible, presque abstrait. Les multiples motivations qu’a pu lui attribuer l’Histoire cohabitent et s’imbriquent, sans ni le glorifier, ni le dédouaner.

 

Fidèle à lui-même, Christopher Nolan fait cohabiter au sein du film différentes réalités. Il y a, d’une part, le biopic à proprement parler : l’épanouissement scientifique de J. Robert et son épopée dans la course à l’atome. Là, la ville de Los Alamos, bâtie à la hâte, n’est pas sans rappeler un décor de cinéma, monté pour les besoins exclusifs de ce qu’on veut y fabriquer. Une première réalité déjà morcelée, puisqu’entrecoupée des visions et rêves éveillés du personnage. ces inserts abstraits d’une grande beauté ne sont pas sans rappeler certains points de vue spatiaux d’Interstellar et soulignent avec brio que J. Robert perçoit avant tout le monde par le prisme de la science : comme suite de phénomènes physiques indépendants de notre volonté, déconnectés de nos émotions.

 

Il y a, d’autre part, l’interrogatoire soumis au professeur par ses pairs, des années plus tard, au gré duquel Oppenheimer doit justifier de sa conduite passée. Futur qui dépasse déjà le simple cadre du biopic en illustrant davantage les dérives du maccarthysme et la chasse aux sorcières en vigueur dans toutes les sphères de la société américaine de l’époque. En faisant de J. Robert Oppenheimer la victime d’accusations orientées par ses détracteurs, ce segment du film parvient à insuffler une empathie constante pour un personnage historique pourtant controversé. L’effroyable héritage légué à l’humanité par le papa de la bombe nucléaire est ici contrebalancé par l’impression permanente que le personnage de Cillian Murphy, les grands yeux bleus perçants et hagards, n’est que la marionnette naïve de complots politiques et d’un monde de pouvoir qui le dépassent.

 

Robert Downey Jr et Cillian Murphy - Oppenheimer

Robert Downey Jr et Cillian Murphy – Oppenheimer de Christopher Nolan

 

Portraits de l’Amérique

 

Impression renforcée par l’ultime réalité, en noir et blanc, dans laquelle un Robert Downey Jr. méconnaissable campe l’abominable amiral Lewis Strauss. Si la patine de vieux reportages de ces images laissent d’abord croire à l’objectivité du personnage, on découvre progressivement ses manœuvres politiques véreuses et le peu de cas que les politiques font de celui qu’ils ont rendu coupable d’un génocide de masse.

 

Les rôles secondaires ne sont pas en-deçà. Malgré la courtesse de leurs scènes, nombre d’acteurs parviennent à flamboyer, comètes de passage dans la vie du génie. Florence Pugh se fait le miroir, féminin et pulsionnel, des contradictions intériorisées par Oppenheimer. Emily Blunt captive dans son rôle d’épouse, écartée de sa vocation scientifique, effacée par son mari et pourtant plus combattante et sans concession que ce dernier. Matt Damon nous offre un militaire plein de bonhomie, que l’on est bien en peine de détester lorsqu’il rechigne à se mouiller pour faire triompher la justice. L’inattendu Rami Malek livre lui aussi une prestation sincère qui nous rappelle de ne jamais sous-estimer un petit rôle…

 

Riche en profondeur et en trouvaille, le plus long film jamais réalisé par Christopher Nolan se tire astucieusement de la complexité de son sujet historique et file en un éclair. Enchevêtrement de subjectivité, ce prétendu biopic nous raconte peut-être surtout que l’Histoire, malgré son grand H, n’est qu’une longue lutte d’egos dont seules demeurent les images-choc.

 

Aésane Geeraert

 

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