Oppenheimer de Christopher Nolan : critique

Publié par CineChronicle le 21 juillet 2023

Synopsis : En 1942, convaincus que l’Allemagne nazie est en train de développer une arme nucléaire, les États-Unis initient, dans le plus grand secret, le « Projet Manhattan » destiné à mettre au point la première bombe atomique de l’histoire. Pour piloter ce dispositif, le gouvernement engage J. Robert Oppenheimer, brillant physicien, qui sera bientôt surnommé « le père de la bombe atomique ». C’est dans le laboratoire ultra-secret de Los Alamos, au cœur du désert du Nouveau-Mexique, que le scientifique et son équipe mettent au point une arme révolutionnaire dont les conséquences, vertigineuses, continuent de peser sur le monde actuel…

♥♥♥♥♥

 

Oppenheimer - affiche

Oppenheimer – affiche

En réalisant un film historique sur le physicien à l’origine de la bombe atomique, Christopher Nolan semblait prendre le contrepied de Tenet, son précédent long-métrage. Là où ce dernier se présentait comme un film de science-fiction alambiqué, la perspective d’un biopic, par nature plus balisé, laissait entrevoir un retour à un certain classicisme. Les choses sont au final loin d’être aussi simples, puisque Oppenheimer est un pur concentré de Nolan, avec toutes les qualités mais aussi les problématiques que cela implique. Plus qu’un biopic qui retracerait la vie du brillant scientifique, Nolan décide plutôt d’interroger cette figure historique controversée en épousant les codes du film de procès. Outre les scènes de vie du personnage, deux autres timelines cerclent le récit, d’une part un interrogatoire d’Oppenheimer par les autorités américaines en pleine Guerre froide, de l’autre une audience de Lewis Strauss. Ce qui compte pour Nolan, c’est donc davantage ce que représente le père de la bombe, que son simple vécu. Si la promesse de plonger dans les névroses de l’Amérique au travers de l’une de ses figures les plus passionnantes est prometteuse, Nolan se prend malheureusement les pieds dans son dispositif narratif. En choisissant de raconter son histoire sans respecter l’ordre chronologique, le réalisateur-scénariste rend le récit inutilement alambiqué et pas toujours très agréable à suivre. Loin d’un Sergio Leone sur Il était une fois en Amérique qui rendait chaque transition incroyablement fluide en liant des éléments de chaque époque, les allers-retours d’Oppenheimer donnent souvent l’impression d’avoir été placé de façon hasardeuse, sans vraie réflexion.

 

Cillian Murphy - Oppenheimer

Cillian Murphy – Oppenheimer de Christopher Nolan

 

Les premières victimes de ce découpage anarchique sont les personnages secondaires qui vont et viennent dans le récit, sans y être proprement introduits. Le personnage-titre occupant l’essentiel des trois heures de métrage, il ne reste pas grand-chose pour les seconds couteaux. Exception faite de Lewis Strauss (étonnant Robert Downey Jr.), toutes les autres figures n’existent jamais pour elles-mêmes, mais seulement par rapport à Oppenheimer. Et comme dans tous ses films (exception faite de celui de Jessica Chastain dans Interstellar), Nolan semble bien en peine avec les personnages féminins. La pourtant passionnante Jean Tatlock (Florence Pugh, brillante comme toujours) voit son rôle réduit à peau de chagrin et Katherine Oppenheimer (Emily Blunt) ne semble exister que pour les besoins d’une scène, certes satisfaisante, mais totalement factice.

 

Seul Robert Oppenheimer, insaisissable génie aux pieds d’argiles, semble véritablement intéresser le cinéaste. Dans la peau du brillant physicien, l’Irlandais Cillian Murphy se montre parfaitement à la hauteur de la tâche. Il se révèle ici parfait de fausse froideur mais de véritable fragilité et saisit pleinement toutes les subtilités du rôle.

 

Robert Downey Jr - Oppenheimer

Robert Downey Jr. – Oppenheimer de Christopher Nolan

 

Le personnage central n’est cependant pas la seule réussite du long-métrage et Oppenheimer contient aussi de belles promesses. Plutôt que de s’enfermer dans ses habitudes visuelles, Nolan tente ici quelques audaces de forme et de ton totalement inédit dans le cadre de son cinéma. La plus évidente, c’est bien sûr cette narration à deux points de vue, ceux d’Oppenheimer et de Lewis Strauss. Là où Nolan se bornait généralement à ne suivre qu’un unique personnage (Memento, Tenet) ou adoptait la vision d’un narrateur omniscient (Dunkerque), il oppose ici deux récits bien distincts, jusque dans leur traitement visuel.

 

Les scènes adoptant le point de vue du héros sont ainsi tournées en couleur, quand celles suivant le récit de Lewis Strauss sont filmées en noir et blanc. Derrière la simple convention esthétique (les deux visuels étant au passage somptueusement servi par le grain de la pellicule 70 mm),  on peut également y voir un moyen de représenter la fausseté et la tromperie émanant de Strauss, en opposition avec le franc-parler d’Oppenheimer.

 

Robert Downey Jr et Cillian Murphy - Oppenheimer

Robert Downey Jr. et Cillian Murphy – Oppenheimer de Christopher Nolan

 

L’autre grande première chez Nolan, c’est l’utilisation de la grammaire cinématographique pour créer non pas seulement du sens, mais aussi du ressenti, voir de la poésie ! Là où le cinéaste faisait jusqu’ici preuve d’un inébranlable pragmatisme, jusqu’à en devenir austère, il fait ici le choix de visualiser les angoisses de son héros dans des visions cauchemardesques. Dans ce qui est probablement la scène la plus saisissante du long-métrage, Oppenheimer adresse à ses confrères un discours patriotique et revanchard, alors que la bombe vient de frapper Hiroshima.

 

Derrière l’emphase de façade, le physicien est d’ores et déjà rongé par les regrets et la culpabilité. Ses démons s’incarnent alors sous la forme de visions cauchemardesques (feux atomiques et cadavres calcinés) mais aussi via des expérimentations sonores déjà présentes sur Dunkerque. Le résultat, aussi éprouvant que saisissant, laisse songeur quant à ce que le cinéaste pourrait accomplir avec un peu plus d’audace.

 

Oppenheimer laisse ainsi le spectateur avec un espoir, fragile mais réel, de voir Christopher Nolan sortir de sa zone de confort qui lui semble inextricable.

 

Timothée Giret

 

 

 

  • OPPENHEIMER
  • Sortie salles : 19 juillet 2023
  • Réalisation et Scénario : Christopher Nolan
  • Avec : Cillian Murphy, Robert Downey Jr., Matt Damon, Florence Pugh, Emily Blunt, Josh Hartnett, Benny Safdie, Jason Clarke, Rami Malek, Kenneth Branagh, Gary Oldman…
  • Production : Christopher Nolan, Charles Roven et Emma Thomas
  • Photographie : Hoyte van Hoytema
  • Montage : Jennifer Lame
  • Décors : Ruth De Jong
  • Costumes : Ellen Mirojnick
  • Musique : Ludwig Göransson
  • Distribution : Universal Pictures
  • Durée : 3 h 00

 

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