Synopsis : Leonard Bernstein, chef d’orchestre et compositeur de renom, épouse la comédienne Felicia Montealegre. Pendant près de trente ans, le couple restera uni d’un amour profond, malgré leurs relations complexes et l’homosexualité assumée du musicien.
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En se penchant sur la vie de Leonard Bernstein, Bradley Cooper s’engage dans la même voie que sa relecture de A Star is Born. L’acteur et réalisateur choisit ainsi d’aborder le parcours du célèbre chef d’orchestre et compositeur de West Side Story, sous l’angle de sa relation tumultueuse avec sa femme, la comédienne Felicia Montealegre. Un couple fascinant, au sein duquel amour et ambitions personnelles s’entrechoquent. D’un point de vue purement formel, force est de constater que Cooper n’a rien perdu de son sens du cadre. Sa mise en scène, ample et ambitieuse, confère un certain souffle à la première partie du film et à la présentation de ses protagonistes. En un plan-séquence scorsesien, le cinéaste passe de la couche de Bernstein à une immense salle de concert, comme si les deux lieux n’en formaient plus qu’un. Vie intime et professionnelle se retrouvent ainsi mêlées en un même plan, annonçant tous les futurs conflits qui émailleront le parcours du compositeur. De même, la rencontre entre Leonard et Felicia, scène pivot du récit, se fait lors d’une soirée bondée où la vie grouille dans chaque recoin. Toujours avec fluidité et élégance, Cooper passe de convive en convive et d’une situation à une autre, avant d’isoler son couple dans un sous-sol de théâtre. Les bases mêmes de leur relation se fondent ainsi sur des notions de jeu, mais aussi de fiction et donc de paraître. Si l’on ressent l’influence de Scorsese et de Spielberg, tous deux producteurs de Maestro, Cooper s’inspire aussi de l’expressionnisme allemand. Le premier tiers du film profite ainsi d’un noir et blanc somptueux, traversé de superbes jeux d’ombre et de lumière. Cette stylisation confère au film une ambiance parfois surprenante, comme lorsque Felicia, face caméra, est engloutie dans l’immense ombre de son mari. Renvoi évident à l’œuvre de Murnau, cette image presque horrifique traduit toute la complexité du rapport entre Leonard et son génie écrasant et les propres aspirations artistiques contrariées de Felicia.
Car c’est dans cette relation d’amour complexe que réside le cœur du film. Bernstein y apparaît comme un ogre souriant, dont la pesante et flamboyante présence dévore petit à petit ses proches. Jamais malveillant, le compositeur est surtout un manipulateur hors-pair, dont la verve lui permet inévitablement d’obtenir ce qu’il désire. Face à lui, Felicia apparaît comme la seule personne capable de canaliser le génie de son mari, au prix de sa propre carrière d’actrice.
Aussi intéressante soit-elle, cette relation phagocyte néanmoins petit à petit l’ensemble de l’œuvre. Maestro s’attarde finalement très peu sur l’art et le processus créatif de Bernstein, ou son parcours artistique. Le spectateur le découvre déjà en pleine ascension, sans que son talent ne soit jamais remis en question. Les œuvres du maestro sont seulement évoquées à travers la bande-originale, sans jamais être présentées ou contextualisées.
De même, le film reste en surface de toutes les problématiques passionnantes qu’il ne cesse pourtant de soulever. Les angoisses créatives de Bernstein, sa vie de famille ou encore le tabou de l’homosexualité du compositeur sont ainsi à peine effleurées au détour d’une scène et ne représentent jamais d’enjeux pour le récit. Les autres personnages, que ce soit les amants de Bernstein ou les enfants du couple, ne sont ainsi que des silhouettes sans substance, sur lesquelles on ne s’attarde que pour ce qu’ils représentent à l’égard du duo central.
Si ce traitement scénaristique s’avère frustrant à bien des égards, il ne diminue cependant en rien certains atouts du film. À commencer par son duo de comédiens. Bradley Cooper, bien aidé par un maquillage d’un réalisme impressionnant, apparaît littéralement transfiguré dans la peau de Bernstein, faisant évoluer son jeu en même temps que le personnage vieillit. Dans sa voix ou ses postures, l’acteur-réalisateur restitue pleinement toute l’énergie vitale et le charme fou du compositeur. Face à lui, Carey Mulligan joue sur un registre plus subtil, dans lequel perlent une multitude d’émotions, entre tristesse, mélancolie et admiration.
Ainsi, malgré son récit limité, Maestro reste une œuvre suffisamment riche visuellement pour donner envie de suivre la suite de la carrière de son talentueux metteur en scène. Ne manque plus à Bradley Cooper qu’un scénario à la hauteur de ses ambitions formelles.
Timothée Giret
- MAESTRO
- Sortie : depuis le 20 décembre 2023
- Chaîne / Plateforme : Netflix
- Réalisation : Bradley Cooper
- Avec : Bradley Cooper, Carey Mulligan, Matt Bomer, Maya Hawke, Sarah Silverman, Sam Nivola, Alexa Swinton, Josh Hamilton Michael Urie, Gideon Glick, Miriam Shor…
- Scénario : Bradley Cooper, Josh Singer
- Production : Fred Berner, Bradley Cooper, Amy Durning, Kristie Macosko Krieger, Todd Phillips, Martin Scorsese et Steven Spielberg
- Photographie : Matthew Libatique
- Montage : Michelle Tesoro
- Décors : Kevin Thompson
- Costumes : Mark Bridges
- Musique : Leonard Bernstein
- Durée : 2 h 09