Synopsis : Bella est une jeune femme ramenée à la vie par le brillant et peu orthodoxe Dr Godwin Baxter. Avide de découvrir le monde dont elle ignore tout, elle s’enfuit avec Duncan Wedderburn, un avocat habile et débauché, et embarque pour une odyssée à travers les continents, qui va lui ouvrir les yeux et l’esprit.
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Pauvres Créatures signe un retour fracassant pour le réalisateur grec Yórgos Lánthimos (Canine, The Lobster, Mise à mort du cerf sacré, La Favorite). Déjà auréolé du Lion d’Or à Venise en 2023 et de deux Golden Globes (meilleures comédie et actrice pour Emma Stone), le film s’impose naturellement comme un sérieux prétendant à la prochaine cérémonie des Oscars. Cette adaptation du roman du même nom d’Alasdair Gay, paru en 1992, suit Bella Baxter, une jeune femme ramenée à la vie par un savant fou, le docteur Godwin Baxter (méconnaissable Willem Dafoe). Cette expérience à la Frankenstein lui donne la particularité d’avoir la conscience d’un enfant dans le corps d’une adulte. Ce qui la rend étrangère aux normes imposées par la société et dépourvues de préjugés envers ce qui l’entoure. Rêvant d’aventure et de découverte, elle quitte sa maison avec un avocat charmeur et débauché, Duncan Wedderburn (Mark Ruffalo), qui l’emmène à la découverte du monde et d’elle-même. Sous couvert d’une réinterprétation du mythe de Frankenstein, Pauvres Créatures dépeint une quête initiatique, une ode à la liberté et à l’émancipation. D’un récit féministe, provocant et sexuel, le réalisateur nous propose une œuvre singulière, surréaliste, haute en couleur et peu conventionnelle.
Bella Baxter s’impose comme le cœur du long métrage et Emma Stone interprète avec brio cette femme-enfant, décomplexée du regard des autres. Son jeu évolue avec finesse et va de pair dans l’avancée de son personnage. La démarche désarticulée du début laisse subtilement place à davantage de souplesse, d’assurance et de grâce. Sa façon de s’exprimer et de communiquer change à mesure de ses expériences. Le film sonde son rapport à la politique, à la philosophie, à la solidarité féminine, mais surtout aux hommes et au sexe. Véritable acte libérateur pour Bella, la sexualité prend ici une place centrale. Abordé de manière crue, que ce soit par des mots ou des actes, le sexe est souvent montré à l’écran.
Tout comme son personnage, Pauvres Créatures aborde tous ces sujets avec une certaine légèreté, accompagnés d’humour et d’ironie, à l’image des scènes du bordel à Paris. Les hommes qui veulent exercer un contrôle sur elle, la voyant comme un objet de désir, vont se confronter à un rapport de force inversé face à cet être unique, qui n’en a cure des conventions sociales imposées aux femmes. En ce sens, le personnage de Mark Ruffalo est parfait dans son rôle du cliché masculin narcissique et manipulateur, qui finit par céder au charme de l’héroïne.
Yórgos Lánthimos plonge ainsi le spectateur dans l’univers de Bella et traduit magnifiquement son émancipation progressive à l’écran. Le premier tiers du film, tourné en noir et blanc et en fisheye, exprime son enfermement, vivant reclus dans un manoir, sous le contrôle paternel du docteur Baxter, qu’elle appelle “God”. Le passage à la couleur coïncide avec son départ et sa première expérience sexuelle avec un homme. Elle voit maintenant le monde tel qu’il est, avec toutes ses nuances.
Ce monde fantasmé par Bella est représenté avec des couleurs vives, des fonds peints à l’image de tableaux et des villes excentriques qui regorgent de détails et de personnes. De même, la longueur de ses cheveux poussent à mesure qu’avance le film et qu’évolue le personnage. Tout comme ses robes et vêtements, qui traduisent son état actuel (en confiance, libéré ou contrôlé). Pauvres Créatures ne laisse pas indifférent. Il s’appuie sur un casting prestigieux, une réalisation inspirée et une direction artistique décalée qui en font une comédie dramatique assez unique.
Florian Rouaud
- PAUVRES CRÉATURES (Poor Things)
- Sortie salles : 17 janvier 2024
- Réalisation : Yórgos Lánthimos
- Avec : Emma Stone, Willem Dafoe, Mark Ruffalo, Ramy Youssef, Jerrod Carmichael, Christopher Abbott, Margaret Qualley, Kathryn Hunter, Hubert Benhamdine, Suzy Bemba, Hanna Schygulla, Damien Bonnard, Vicki Pepperdine, Mellanie Hubert, Wayne Brett
- Scénario : Tony McNamara
- Production : Ed Guiney, Yórgos Lánthimos, Andrew Lowe, Emma Stone
- Photographie : Robbie Ryan
- Montage : Yorgos Mavropsaridis
- Décors : James Price
- Costumes : Holly Waddington
- Musique : Jerskin Fendrix
- Distribution : The Walt Disney Company France
- Durée : 2 h 21