Jep Gambardella – un bel homme au charme irrésistible malgré les premiers signes de la vieillesse – jouit des mondanités de la ville. Il est de toutes les soirées et de toutes les fêtes, son esprit fait merveille et sa compagnie recherchée. Journaliste à succès, séducteur impénitent, il a écrit dans sa jeunesse un roman qui lui a valu un prix littéraire et une réputation d’écrivain frustré : il cache son désarroi derrière une attitude cynique et désabusée qui l’amène à poser sur le monde un regard d’une amère lucidité. Sur la terrasse de son appartement romain qui domine le Colisée, il donne des fêtes où se met à nu « l’appareil humain » – c’est le titre de son roman – et se joue la comédie du néant. Revenu de tout, Jep rêve parfois de se remettre à écrire, traversé par les souvenirs d’un amour de jeunesse auquel il se raccroche, mais y parviendra-t-il ? Surmontera-t-il son profond dégoût de lui-même et des autres dans une ville dont l’aveuglante beauté a quelque chose de paralysant…
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Il aura été l’un des visages incontournables de la 66e édition du festival de Cannes. Toni Servillo fait merveille dans le dernier Paolo Sorrentino en journaliste vieillissant dans la Rome actuelle, cherchant désespérément la ‘‘grande bellezza’’ – la grande beauté – du titre, alors que tout s’écroule autour de lui. Le duo retrouve donc la compétition cannoise cinq ans après Il Divo – prix du Jury en 2008 – et deux ans après la présentation de This Must Be the Place, avec Sean Penn en tête d’affiche. Cette fois-ci, les absents du festival peuvent découvrir son film en salles avant le verdict de dimanche soir puisque La Grande Belleza est arrivé sur les écrans cette semaine. Et récompensé ou pas, cette ‘‘grande beauté’’ ne peut laisser indifférent, parce que remplie d’une amertume due aux potins, à la vacuité, aux mensonges et à la fragilité qui nourrissent – ou plutôt pourrissent – l’univers de Jep Gambardella/Toni Servillo. Cela ne date pas d’hier, puisque l’immersion du personnage dans les mondanités remonte à ce premier et unique roman récompensé et écrit il y a quarante ans, tuant dans le berceau une carrière d’écrivain prometteuse. L’appareil humain – comme se nomme le livre de Jep – l’écrivain et reporter l’interroge toujours, et le met à nu au beau milieu des soirées clinquantes qu’il organise sur la terrasse de son appartement, face au Colisée. Curieux personnage que ce Jep Gambardella, proche cousin du Marcello Rubini de La Dolce Vita (1960). Les liens avec ce dernier sont d’ailleurs tellement évidents qu’on pourrait être tenté de parler de suite plus ou moins consciente au chef d’œuvre de Fellini, une sorte de descendant gémellaire jusque dans son titre. Car La Grande Bellezza et La Dolce Vita présentent la même ironie, et surtout la même quête faussement illusoire à travers ces deux visages masculins aux âges différents mais au pouvoir de séduction, au cynisme et au mépris identique pour leurs semblables dans leur Rome respective – celle des Trente faussement glorieuses pour Marcello, celle de l’Italie post-berlusconienne pour Jep.
Mais Fellini hante le sixième long-métrage de Sorrentino pour d’autres raisons. Des femmes monstrueusement belles jouent un double jeu aux souvenirs de jeunesse, tout n’est que passage pour ramener notre homme vers l’écriture, comme l’entourage du cinéaste de Huit et demi (1968) conduit le protagoniste vers sa prochaine œuvre. Jep, au gré de ses rencontres, devra lui-même décider quel parcours existentiel et, par voie de conséquence, quel chemin littéraire adopter. Il n’appartient qu’à lui de retrouver la pureté et la joie de ses jeunes années comme Marcel Proust – cité plusieurs fois – retrouve sa Madeleine dans Du côté de chez Swann, ou alors de rester enfermé dans cette misanthropie et ce dégoût déjà annoncés par les quelques lignes extraites du Voyage au bout de la nuit de Céline en ouverture du spectacle. A juste titre, d’aucuns affirmeront que le film souffre de lourdeurs, entre esbroufe et citations à répétitions, et les scènes joyeusement grotesques de fête s’avèrent plus réussies et fascinantes que celles, parfois pesantes, de révélation et de leçon de vie et de morale. On préfèrera les moqueries silencieuses aux sarcasmes bavards et un brin répétitifs, les travellings et plans rapprochés sur Jep et ses conquêtes à ces plans larges appuyés – nombreux sur la fin – où l’écrivain tend à trouver un semblant de rédemption. Derrière son groupe d’individus à la fois agaçants et attachants, La Grande Bellezza ne manque pas non plus d’échos avec l’état moral d’une nation toute entière. Le mal-être italien ne trompe a priori que ces touristes qui, à l’instar de ce japonais qui s’évanouit devant la splendeur romaine dans la première scène, peuvent encore rêver. Le sommeil de Jep ne sera qu’évoqué car lui, en revanche, ne peut plus dormir pour rêver, ou alors en plein jour pour se remémorer par exemple son premier amour. C’est lui qui permet de garder à cette tranche de vie pas exempte de longueurs de garder une certaine unité, et grâce soit rendue à son interprète. Toni Servillo passe génialement, l’air de rien, du masque de clown gai à l’auguste, et montre une fois encore toute sa versatilité après sa performance remarquée dans Il Divo et une partition plus taciturne et toute en retenue dans LA BELLE ENDORMIE de Marco Bellocchio (notre critique) sorti le mois dernier. Il apporte même – in extremis – un peu d’émotion à cette parenthèse qui ne manque ni de charme ni de magie. Il est simplement regrettable que son premier instigateur Sorrentino ne parvienne pas à trancher entre grandiloquence et retenue, pêchant parfois par excès sur les deux plans, même si certains pourront apprécier ses envolées verbales et cinétiques.
LA GRANDE BELLEZZA de Paolo Sorrentino en salles le 22 mai 2013 avec Toni Servillo, Carlo Verdone, Sabrina Ferilli, Carlo Buccirosso. Scénario : Paolo Sorrentino, Umberto Contarello. Directeur de production : Raffaello Vignoli. Coproducteurs : Fabio Conversi, Jérôme Seydoux. Producteurs délégués : Nicola Giuliano, Francesca Cima. Producteurs associés : Carlotta Calori, Guendalina Ponti, Romain Le Grand, Vivien Aslanian, Muriel Sauzay. Producteur exécutif : Viola Prestieri. Photographie : Luca Bigazzi. Décors : Stefania Cella. Costumes : Daniela Ciancio. Montage : Cristiano Travaglioli. Musique : Lele Marchitelli. Distribution : Pathé Distribution. Durée : 2h22.
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