Béatrice de Staël, principalement connue pour avoir souvent tourné dans les films de Valérie Donzelli, retrouve Jérémie Elkaïm dans ‘Indésirables’ de Philippe Barassat, à l’affiche mercredi 18 Mars 2015. Elle campe une femme aveugle qui entretient une relation intime avec le jeune infirmier qu’il interprète, l’initiant à l’assistanat sexuel pour handicapés. Rencontre avec la comédienne qui évoque l’approche sur son rôle et cette profession encore taboue et marginalisée.
CinéChronicle : Indésirables aborde l’assistanat sexuel, sujet rarement exploré au cinéma. Il rappelle toutefois un documentaire intitulé L’amour sans limites. À la lecture du scénario, y étiez-vous déjà sensible ?
Béatrice de Staël : Oui mais pas de manière naturelle. Certains m’ont précisé à l’époque que l’assistance sexuelle est non seulement autorisée dans certains pays mais aussi remboursée par la sécurité sociale. J’ai été choquée. Je suis d’accord pour que cela devienne un métier, même si d’autres individus, qui ne sont pas forcément handicapés, aient aussi besoin d’assistance sexuelle. Mais que l’État rembourse me paraît fou. De nombreuses prostituées refusent encore aujourd’hui d’avoir des relations sexuelles avec des invalides.
CC : Comment avez-vous appréhendé ce rôle singulier?
BdS : Avec Bastien Bouillon, qui interprète mon frère dans le film, nous avons rencontré une aveugle plusieurs fois. Nous l’avons beaucoup observée. Elle m’a conseillé très vite de ne pas jouer l’aveugle, en regardant en l’air, mais plutôt de m’orienter vers cette idée plus large de « ne rien voir ». C’est donc ce que j’ai essayé de faire. Finalement, ce fut assez simple mais aussi très fatiguant. Bastien a appliqué une autre technique. Mais le plus intéressant dans les propos de cette femme est qu’elle nous a indiqué que les aveugles regardent la télévision. Ils ont besoin de se créer une image, même s’ils la ressentent à peine. Ils emploient d’ailleurs le verbe « regarder » tout le temps. Ils ont aussi des tendances apparemment d’obsédés sexuels, particulièrement les hommes aveugles. Mon personnage dans Indésirables ne l’est pourtant pas, elle est légère et gourmande. J’ai tenté de la ressentir sans la vision oculaire. Comme on ne voit pas, on a toujours besoin de toucher. Le goût est très différent également, et le plaisir est pour le coup presque décuplé.
CC : Avez-vous eu des directives particulières de Philippe Barassat ?
BdS: Oui, bien sûr. C’est d’ailleurs lui qui a voulu que nous rencontrions cette femme aveugle. Il m’a surtout demandé la plupart du temps de sourire car pour lui mon personnage est heureux et sensuel. J’aime cette femme que j’ai interprétée car elle est lumineuse. Philippe a aussi choisi la coiffure et les costumes. C’est la raison pour laquelle je porte une perruque. C’est un réalisateur très précis. Il est vraiment dans la direction d’acteurs. C’est très appréciable car on sait où l’on va.
CC : Vous a-t-il laissé parfois improviser ?
BdS : J’ai pu lui faire des suggestions, mais Philippe sait exactement ce qu’il veut voir. Il nous dirige au mieux jusqu’à obtenir le résultat précis de son idée de départ. Il est dans une direction d’acteurs totale. Il m’a laissé prendre quelques initiatives car j’aime apporter en général un peu de moi à mes personnages, mais il ne laisse vraiment rien au hasard.
CC : Vous retrouvez Jérémie Elkaïm avec lequel vous avez collaboré dans certains films de Valérie Donzelli. Comment se passe votre complicité d’acteurs ?
BdS : Nous venons d’ailleurs de tourner ensemble dans Les bêtises de Rose et Alice Philippon. Indésirables dévoile de nombreuses scènes ensemble. Cette femme, mon personnage qui ne le voit pas, ressent cette gourmandise lorsqu’elle est en sa présence. C’est elle qui lui introduit l’idée de l’assistance sexuelle dans une séquence où elle lui propose une relation contre de l’argent. La demande est faite avec une telle légèreté qu’il ne le ressent pas comme une agression. Cette femme n’est pas non plus handicapée entièrement, elle est seulement non-voyante. L’approche est plus simple pour le personnage de prime abord. Le jeu avec Jérémie fût plus facile car nous nous connaissons. C’est un ami avec qui j’aime travailler. Je trouve toujours très compliqué de tourner des scènes dans lesquelles j’ai un contact physique avec quelqu’un que je ne connais pas. Ce fut par contre plus difficile pour Jérémie car il est dans tous les plans. Il a également l’habitude de travailler essentiellement avec Valérie Donzelli et participe souvent à la mise en place de son jeu. Jérémie a besoin de créer. Mais avec Philippe, on ne peut pas vraiment participer. Les comédiens sont à leur place. Il n’y a pas vraiment d’interaction. Le travail de Jérémie est remarquable. Il est exactement le personnage que je me suis représentée à la lecture du scénario. Cet Aldo est entièrement décomplexé et profondément humain. Jérémie est un peu comme cela avec les gens dans la vie. Il a une forme d’amour de l’être humain et du corps assez exceptionnelle. Je trouve que ce rôle lui va parfaitement.
CC : Avez-vous répété souvent ensemble pour préparer vos scènes ?
BdS : Pas du tout. Il avait trop de travail, étant dans tous les plans. Le rôle fut difficile à tenir, il était épuisé. Le manque d’argent dans la production n’a pas non plus favorisé les conditions de répétitions.
CC : Comment le film a-t-il été financé justement ?
BdS : Le financement s’est concrétisé avec le coscénariste de Philippe Bassarat, Frédéric Le Coq, qui a eu l’idée de ce film étant lui-même handicapé, et ma participation. C’est une production complètement indépendante. Et cette liberté est aussi très dure. La mairie de Malakoff nous a prêté l’appartement dans lequel se déroulent quasiment toutes les scènes. Nous avons obtenu de nombreux prêts matériels. Jérémie nous a apporté les caméras. Il y eut également un coût supplémentaire car les handicapés ne se déplacent pas facilement. Il a fallu régler de nombreux taxis. Nous avons décidé de les faire dormir directement dans l’appartement.
CC : En tant que coproductrice, vous êtes-vous chargée de prendre contact avec les personnes invalides ?
BdS : Philippe Barassat les a trouvés parmi ses connaissances. Au départ, il ne voulait tourner qu’avec des aveugles, mais c’était trop compliqué à mettre en place. Magalie, la jeune femme en fauteuil roulant, avait contacté Valérie Donzelli après La guerre est déclarée. Elle l’a mis en contact avec Philippe. Hervé Chenais, le personnage sans bras ni jambes que je trouve formidable, est un acteur qui avait joué dans Devotee de Rémi Lange. Le géant est un ami d’Hervé Chenais. En revanche, la rockeuse n’est pas une vraie handicapée. Elle a été choisie pour ce côté rock justement. Le plus étonnant est qu’on a passé des semaines avec ces gens un peu « différents ». Et si au départ nous ne savions pas toujours très bien comment nous comporter, ce malaise à la fin du tournage s’est complètement dissipé. Nous ne faisions plus la différence entre les handicapés et les gens ‘normaux’. Rester naturel et se sentir égaux furent paradoxalement le plus compliqué. Pourtant eux ne se sentent pas complexés d’être en groupe. La scène dans le jardin est d’ailleurs incroyable et témoigne de cet aspect. Ils n’éprouvent pas cette monstruosité.
CC : On part du principe, que dans nos sociétés monogames, Aldo est en train de tromper sa copine. Mais se sentiment disparaît au fur et à mesure…
BdS : Oui, c’est un travail. Aldo gagne de l’argent pour subvenir à ses besoins et à celui de sa compagne. L’assistance sexuelle est perçue comme une pratique noble alors que la prostitution ne l’est pas. Je pense par contre que sa signification reste la même. C’est un travail. On aurait pu ajouter dans le scénario des gens ‘normaux’ qui ont besoin d’aide dans leur sexualité. J’ai l’impression que c’est ce qui peut choquer les gens dans ce film. Il comporte plusieurs messages au-delà de l’histoire des handicapés. Indésirables montre aussi que la prostitution est un métier comme un autre. Les clients et les prostitués ne sont pas des gens méprisables.
CC : Certains handicaps sont très difficiles, comme notamment la grande brûlée. Fut-il compliqué pour vous de dépasser l’apparence ?
BdS : Oui, mais pas Jérémie. Il n’a aucun problème de rejet ou de dégoût. La saleté ne le dérange pas, la laideur non plus.
CC : En France, l’assistance sexuelle est considérée d’un point de vue légal comme de la prostitution. Qu’en pensez-vous ?
BdS : Je suis d’accord car Indésirables est un film sur la prostitution. Il s’agit d’un garçon qui découvre la prostitution. Étant infirmier, il a un rapport particulier au corps. J’ignore s’il pourrait se prostituer avec des gens ‘normaux’, mais apparemment ce métier ne le dégoûte pas. Dans la première scène, il s’occupe d’une femme en train de mourir à l’hôpital. Philippe Barassat le montre d’emblée en interaction avec l’humain et le corps. Au départ, Aldo est dans le besoin d’argent et découvre progressivement la prostitution comme un moyen profitable. L’approche reste néanmoins très sensuelle. Je ne suis pas convaincue que les prostituées touchent leurs clients comme Aldo le fait dans le film. Il a un lien très doux et sensuel au corps d’autrui, des handicapés.
CC : Pouvez-vous nous parler de vos prochains projets ?
BdS : Je me concentre davantage sur la réalisation. Je viens de terminer le tournage d’un court-métrage de 25 minutes que j’ai également écrit et interprété avec Brigitte Sy. Nous sommes en fin de montage. Il conte l’histoire de deux femmes en deuil. L’une, son mari est mort, et l’autre, il a disparu. Elles se lancent dans une enquête pour comprendre ce qui s’est réellement passé. C’est une intrigue à la manière des pieds nickelés mais dont le dénouement contient des réponses. J’aimerais maintenant réaliser un long-métrage. J’avais écrit voici dix ans un scénario avec Philippe Barassat et j’avais proposé à Valérie Donzelli d’interpréter le rôle principal. Si le projet n’a pas abouti faute d’argent, je suis en train de le reprendre en main.
>> NOTRE CRITIQUE D’INDÉSIRABLES DE PHILIPPE BARASSAT <<
- INDÉSIRABLES réalisé par Philippe Barassat en salles le 18 Mars 2015, distribué par Zelig Films, avec Jérémie Elkaïm, Béatrice de Staël, Bastien Bouillon, Valentine Catzéflis, Magalie Le Naour-Saby, Rémi Lange, Eve Bitoun, Hervé Chenais…
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