Résumé : Il existe tout un pan de l’histoire de Jerry Lewis que l’on ignore. Si certains l’ont toujours perçu comme un clown, il est aussi un réalisateur important, et son œuvre fait sens pour Chris Fujiwara, critique et enseignant, qui la décortique minutieusement. Il montre la continuité de ses films, leur attachement aux thèmes du masculin, de l’image de soi et de l’ambivalence. Il montre surtout quelle méditation fascinante le cinéma de Lewis offre sur les médias, leurs usages et leurs technologies. Cet essai donne à voir plus loin que le statut de simple comique du célèbre interprète de Docteur Jerry et Mister Love.
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Pour nombre de spectateurs et cinéphiles, Jerry Lewis est l’un des plus grands comiques américains de la seconde moitié du 20ème siècle. Son duo avec Dean Martin (le benêt contre le séducteur), qui le lança, tient lieu de socle au personnage qu’il s’est construit jusqu’à nos jours. Mais si l’on n’y voyait qu’un humour un peu gras et enfantin, Chris Fujiwara, qui s’est déjà intéressé à Jacques Tourneur et à Otto Preminger, se fait ici le chantre de cette personnalité en tant que réalisateur majeur à travers cet essai de près de 200 pages aux éditions Les Prairies Ordinaires. Comme Louis de Funès, qui fit les beaux jours des écrans populaires dans les années 60 et 70, Jerry Lewis demeure de son côté un incompris, méprisé de l’intelligentsia cinématographique, alors qu’il fait preuve d’un talent indéniable, sous-tendu par l’émotion que suscitent ses rôles. Il est facile de se projeter dans ses personnages de loosers qui jouent à qui perd gagne, récompensés par les happy-endings. Et l’on aurait pu croire que tout Jerry Lewis se limitait à ces films aux allures de série B, devenus pourtant cultes. C’est d’ailleurs là le génie des auteurs de cinéma de niche qui parviennent à produire des œuvres inoubliables, sans être forcément des chefs-d’œuvre. Chris Fujiwara tente ici d’extraire Jerry Lewis de l’ornière de la seconde zone pour le propulser au niveau de Kazan, Lynch, voire Woody Allen : à savoir celui d’un auteur qui restera dans les mémoires, un cinéaste de grande valeur. Mais ne pouvait-il pas l’explorer avec autant d’humour et de simplicité que son héros ? Souvent fouillis, il scrute souvent son sujet avec la raideur d’un gardien du temple : les plans sont analysés et bien trop référencés, les intentions de chaque séquence sont passées au crible de la théorie et les cadrages trop chargés de sous-textes. Et si tout simplement Jerry Lewis avait voulu divertir ? Il semble que cela soit la véritable clé : faire rire et se moquer gentiment, de chaque côté de la caméra, du monde qui l’entoure. L’auteur de cet ouvrage désire charger de sens chaque prise de vue, scénario, réplique… Il faut dire que les titres français ne rendent pas non plus justice à la filmographie de Lewis. Fort heureusement, Chris Fujiwara a réalisé une interview décalée de Jerry Lewis en 2003 et au cours de laquelle le ‘Maître’ se montre drôle, subtil, honnête et sans aucune forfanterie. C’est à lire dès la page 129, nous offrant ainsi un authentique bonus qui vaut certainement une publication à lui seul.
- JERRY LEWIS de Chris Fujiwara est disponible depuis le 20 aout 2015 aux éditions Les Prairies Ordinaires.
- Traduit de l’anglais par Pauline Soulat
- 180 pages
- 18 €