Synopsis : Lorsque de mystérieux vaisseaux venus du fond de l’espace surgissent un peu partout sur Terre, une équipe d’experts est rassemblée sous la direction de la linguiste Louise Banks afin de tenter de comprendre leurs intentions. Face à l’énigme que constituent leur présence et leurs messages mystérieux, les réactions dans le monde sont extrêmes et l’humanité se retrouve bientôt au bord d’une guerre absolue. Louise Banks et son équipe n’ont que très peu de temps pour trouver des réponses. Pour les obtenir, la jeune femme va prendre un risque qui pourrait non seulement lui coûter la vie, mais détruire le genre humain…
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L’ascension de Denis Villeneuve, chouchou des festivals et des gros studios, offre une image exemplaire de ce qu’est un auteur aujourd’hui. Des festivals, le cinéaste canadien est salué pour sa capacité à tisser une œuvre cohérente aux motifs récurrents (lits d’hôpitaux, symboles arachnides, portrait de femmes) et aux thématiques obsessionnelles (rapport à la mort, à la violence, à la filiation). Pour les studios, il est surtout moins coûteux (50 millions de dollars pour Premier Contact) et plus productif (pratiquement un film par an depuis 2010) qu’un James Cameron ou un Christopher Nolan. Sa faculté de passer d’un genre à un autre, et même de les mélanger, le rapproche davantage d’un Ridley Scott, dont il tourne Blade Runner 2. La forme hybride de son cinéma tient essentiellement dans ce rapport purement ludique qu’il entretient avec le scénario de ses films. L’aspect énigmatique, presque de puzzle (pourquoi douze vaisseaux ? pourquoi ses emplacements géographiques ?), que leur confère Villeneuve, captive aisément tant son écriture narrative et visuelle fonctionne en osmose avec ses ambitions de générer du suspense en permanence. Dans une très bonne première partie, Villeneuve s’essaie à la science-fiction horrifique. Comme souvent chez lui, l’angoisse et le mystère naissent dans sa manière de ne jamais se séparer du point de vue de son héroïne, Dr. Louise Banks (formidable Amy Adams), qui n’est pas sans rappeler la façon dont Steven Spielberg filmait Tom Cruise dans La Guerre des mondes. Avec une profondeur de champ réduite à son minimum, on suit et découvre les lieux à travers les yeux et la sensibilité d’une femme empreinte à des visions traumatiques dont Villeneuve maintient le plus longtemps possible le caractère ambigu (flashback ou flashforward).
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Aidé à l’écriture par un auteur de films d’horreur, Eric Heisserer (le remake de The Thing, Dans le Noir) et à la photographie par l’excellent Bradford Young (Les Amants du Texas, A most violent year), Villeneuve livre quelques plans somptueux dont les incessants mouvements de caméra traduisent l’atmosphère tendue qui progresse au fil des minutes avec un sens idoine du timing. Mais alors que ses précédents films étaient de véritables plongées dans les ténèbres, dans le subconscient trouble de fantasmes et de peurs de plus en plus « monstrueuses », Premier Contact invite à un autre voyage, celui de l’ombre à la lumière. Entre le rêve et la veille, il y a donc ce rêve éveillé, état mixte très cinématographique. Il nous révèle les « visions » de l’héroïne qui cristallise parfaitement ce revirement, devenant désormais une instance réparatrice, voire salvatrice. Alors que l’imagerie symbolique de l’araignée refait également surface sous la forme d’heptapodes, celle-ci n’étant plus vécue via le registre de la peur (Enemy). La monstruosité apparente des extraterrestres davantage ici lovecraftiens laisse place à une certaine souveraineté et grandeur. À l’image des ingénieurs du Prometheus de Scott, ils font figurent de vérité suprême, de grands architectes qui, dans la relation qu’ils tissent avec le Dr. Banks, trouve un écho maternel que la forme ovoïdale du vaisseau vient confirmer.
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De même que la plupart des films de Villeneuve fonctionne généralement par trinôme (Prisoners, Enemy, Sicario), celui de Premier Contact – le scientifique Donnely (Jeremy Renner) et le colonel Webber (Forest Whitaker) encadrant le Dr. Banks – ne voit jamais sa figure féminine se faire happer par cette hydre à deux têtes. Il semblerait que sa sensibilité féminine, son instinct maternel et protecteur soient la force qui lui confère cet appétit d’héroïsme. Un atout qui lui permettrait de « communiquer » avec les fameux heptapodes. Villeneuve a néanmoins du mal à exploiter cette brillante idée du langage universel, bien trop didactique (la voix-off) et redondante (les personnages ne font que regarder des idéogrammes sur des écrans d’ordinateurs), pour la rendre véritablement cinématographique. Alors que ce régime de signes, abstrait dans sa figuration nébuleuse, propose une sorte de flux foisonnants d’expressions et de contenus qui semblent se conjuguer entre eux, le film ne répond que par le langage oral ou écrit sous la forme d’un discours pompeux (métaphore) ou simpliste (scolaire). Le cinéaste devient également un peu trop « hollywoodien » lorsqu’il tape gratuitement sur les gouvernements chinois et russes, les premiers à vouloir lancer l’offensif contre la menace extraterrestre. Et que dire de ce retournement scénaristique forcé – le fameux coup de téléphone au chef des armées chinois – qui n’aide pas vraiment le film dans sa quête unificatrice. Car, et il faut le rappeler, Premier Contact, adapté de la nouvelle de Ted Chiang (L’histoire de la vie, 1998), reste avant tout une fable fantastique au message pacifiste.
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À l’image des sagas familiales de Spielberg mais avec le mode de filmage très malickien, Villeneuve s’efforce de ramener son film à l’intime, à l’humain, à la vérité des sentiments pour tenter d’y déjouer nos peurs primaires (l’extinction de l’humanité ramenée à l’échelle de la perte d’un enfant). Premier Contact n’a évidemment pas la dimension existentialiste et cosmologique d’un Tree of Life, son étude de caractère ainsi que des symptômes d’une famille n’est pas convaincante, seulement un prétexte à l’élaboration sophistiquée d’une mécanique narrative. Mais il conserve certains élans « abyssiens » qui lui donne ce charme désuet mais sincère à l’image de cette rencontre salvatrice, placée sous le signe de l’émerveillement et vue à travers les yeux d’une femme qui n’a, à l’évidence, pu encore écrire son histoire. Délaissant une vision cynique d’un monde malade et terrorisé, Villeneuve s’émancipe le temps d’un film de l’œuvre de Scott pour retrouver celle de cet éternel candide qu’est Cameron, dont la (fausse) naïveté laisse entrevoir les esquisses d’une possible renaissance de l’espèce humaine.
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- PREMIER CONTACT (Arrival) de Denis Villeneuve en salles le 7 décembre 2016.
- Avec : Amy Adams, Jeremy Renner, Forest Withaker, Michael Stuhlbarg, Mark O’Brien, Tzi Ma, Frank Schorpion, Lucas Chartier-Dessert…
- Scénario : Eric Heisserer, d’après la nouvelle L’Histoire de ta vie de Ted Chiang
- Production : Dan Levine, Shawn Levy, David Linde, Aaron Ryder
- Photographie : Bradford Young
- Montage : Joe Walker
- Décors : Patrice Vermette
- Costumes : Renée April
- Musique : Jóhann Jóhannsson
- Distribution : Sony Pictures Releasing France
- Durée : 1h56
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