Synopsis : 22 Novembre 1963 : John F. Kennedy, 35ème président des Etats-Unis, vient d’être assassiné à Dallas. Confrontée à la violence de son deuil, sa veuve, Jacqueline Bouvier Kennedy, First Lady admirée pour son élégance et sa culture, tente d’en surmonter le traumatisme, décidée à mettre en lumière l’héritage politique du président et à célébrer l’homme qu’il fut.
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Parmi les cinéastes les plus en vogues de ces dernières années, le chilien Pablo Larrain s’est imposé comme l’un des auteurs contemporains préférés des festivals européens en l’espace de six longs métrages. Il a été sélectionné à trois reprises à Cannes (Tony Manero, No et Neruda), deux fois à Venise (Santiago 73, post mortem et Jackie) et une fois à Berlin (El Club). Ce succès critique lui vaut l’opportunité de tourner, avec Jackie, son premier film en langue anglaise avec des stars internationales. Pour un auteur non-angliciste, cela équivaut au Saint Graal cinématographique et pour ainsi dire la porte d’entrée aux Oscars, comme le démontre Jackie. Mais pour une fois, ce changement de statut de l’auteur n’engendre point une œuvre inférieure aux précédentes ou tout simplement mineure. De son écriture scénaristique à la mise en scène en passant par la performance de ses comédiens et celle de sa partition musicale (Mica Levi), Jackie est une belle œuvre collective. Il y a d’abord la précision d’un scénario (Noah Oppenheim) qui, par cette succession de flashbacks non-chronologiques, émaille son récit de petites touches, de petites saynètes, parfois à valeurs anecdotiques mais aussi à valeurs exceptionnels qui, une fois prisent dans leur unité, reconstruisent le portrait d’une Jackie Kennedy hors norme. Il y a d’ailleurs une forte dimension fabulatrice qui émane de la mise en scène de Larrain ; une atmosphère quasi féérique et enchanteresse que le cinéaste s’amuse à contrarier par la variété des facettes qu’il donne de son héroïne. À la fois autoritaire et manipulatrice, elle semble par moments n’être qu’une « poupée » fragile déambulant dans son château (la Maison-Blanche), errant entre ses objets luxueux, presque phagocytée par sa stature politique.
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Avec sa musique nauséeuse et pourtant enivrante, ses couleurs délavées et son grain particulier, le film ne lésine pas sur les effets visuels et sonores pour orchestrer une image fantasmée et poétique de la first lady. Cet aspect contradictoire fait tout le charme du film. Cette imprévisibilité renforce et donne de l’intensité aux relations qu’elle tisse avec le frère de son défunt mari, Bobby Kennedy, sa secrétaire Nancy et le nouveau couple présidentiel, les Johnson. Elle a quelque chose à la fois de lunaire et de magnétique. La caméra n’a pour ainsi dire de regard que pour elle, le film n’étant que la traque de son visage, de sa silhouette à travers les gens ou la foule. Larrain tente ainsi de fixer son visage face caméra, d’en imprimer la légende afin de transformer le réel en une seule et unique image, la sienne. Elle va jusqu’à édulcorer volontairement la réalité (elle réécrit tout bonnement son interview) pour mieux écrire sa légende, cette fameuse trace qu’elle veut laisser dans l’Histoire. Car elle est bien consciente que son mari et elle n’ont pas eu le temps de marquer le pays comme ils l’espéraient. Du moins autrement que par le réaménagement des meubles et des rideaux de la Maison-Blanche. La dimension éphémère de la fonction de First Lady ne lui donne aucune légitimité, ne lui offre aucune garantie. Elle le sait, elle ne possède rien à elle, ni même sa propre image. Elle doit donc la reconquérir. Et c’est par l’entremise de la procession de son mari qu’elle compte frapper un « grand coup » à la fois politique, sociétale et médiatique.
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Si la question de l’héritage est donc forcément présente par l’intermédiaire du spectre de Lincoln, le mal de Jackie s’avère néanmoins plus profond, plus personnel (la perte prématurée de deux enfants). C’est donc une lutte contre l’oubli mais aussi contre la mort qu’elle livre jusqu’au bout. Sa conversation avec un prêtre donne une valeur spirituelle au film qui va jusqu’à s’immiscer dans certaines de ses réflexions existentialistes, c’est-à -dire dépasser l’aspect cyclique de la vie pour commencer à la vivre pleinement. La question de la représentation est également inhérente au politique. Malgré la tragédie, le spectacle doit continuer, la performance prime sur la réalité. Peu à l’aise lors de sa présentation des pièces de la Maison-Blanche en direct à la télévision, elle gagne dans l’horreur de la tragédie une assurance, une volonté et une force de caractère que l’on ne lui connaissait pas. Les contre-plongées, de plus en plus présentes au fur et à mesure du film, viennent corroborer cette impression de prise de pouvoir. Il n’y a qu’à voir la manière dont elle se met en scène dans le cortège ou face au journaliste. C’est bien dans ce « réel du spectacle », l’illusion de l’image, que le film prend sa force réflexive. Larrain fait d’ailleurs le choix de re-filmer, car c’est une image déjà existante, l’assassinat du point de vue inédit de Jackie.
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Comme les cinéastes du Nouvel Hollywood (Arthur Penn, Brian de Palma, Robert Altman, Oliver Stone), le film de l’assassinat de JFK fascine toujours autant ; son impact et sa représentabilité restent éminemment contemporains. Implanté dans l’imaginaire américain, tout le monde s’est approprié l’événement, mais, par-delà le fantasme, jamais celui-ci n’a été saisi du point de vue de la femme, c’est-à -dire de l’intime au cœur de la voiture. C’est la grande singularité de la séquence, sa violence traumatique, la réaction instinctive de Jackie, la position du garde du corps. Durant la procession, certains motifs referont surfaces (célébration dans la rue, peur des fenêtres…), la paranoïa prendra alors ses formes visuelles, toujours d’actualité. Avec Jackie, Larrain choisit une forme de biopic qui lui sied parfaitement. En se focalisant uniquement sur les quelques jours après l’assassinat de JFK à travers les yeux de son épouse, il réussit à livrer une bien belle étude de caractère. Il parvient à parler, par le scénario et la mise en scène, de la représentation propre à toute posture politique, mais également à faire ressortir les désirs refoulés et autres traumatismes de cette figure paradoxale, à la fois « poupée de verre » et « bête de scène », indépendante et pourtant très famille, manipulatrice mais naïve, précieuse et populaire… Elle est le reflet parfait de ce qu’était « l’énigme Kennedy », sa mythologie condensée et partiale : une famille de golden boy, aux idéaux affirmés et aux plaisirs populaires (la comédie musicale « Camelot » faisant référence à une forme d’innocence), qui est entrée dans la légende par une sortie de route prématurée. Celle-ci fit basculer l’Amérique dans l’envers de son décor, de son reflet déformant.
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- JACKIE de Pablo Larrain en salles le 1er février 2017
- Avec : Natalie Portman, Peter Sarsgaard, Greta Gerwig, John Hurt, Billy Crudup, John Carroll Lynchn Richard E. Grant, Beth Grant…
- Scénario : Noah Oppenheim
- Production : Darren Aronofsky, Juan de Dios Larrain, Mickey Liddell, Scott Franklin, Ari Handel…
- Photographie : Stéphane Fontaine
- Décor : Halina Gebarowicz
- Montage : Sebastian Sepulveda
- Décors : Jean Rabasse
- Costumes : Madeline Fontaine
- Musique : Mica Levi
- Distribution : Bac Films
- Durée : 1h40
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