Synopsis : En 2049, la société est fragilisée par les nombreuses tensions entre les humains et leurs esclaves créés par bioingénierie. L’officier K est un Blade Runner : il fait partie d’une force d’intervention d’élite chargée de trouver et d’éliminer ceux qui n’obéissent pas aux ordres des humains. Lorsqu’il découvre un secret enfoui depuis longtemps et capable de changer le monde, les plus hautes instances décident que c’est à son tour d’être traqué et éliminé. Son seul espoir est de retrouver Rick Deckard, un ancien Blade Runner qui a disparu depuis des décennies…
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Réaliser la suite d’un monument du cinéma est une entreprise éminemment périlleuse. Et plus encore quand cette suite doit prolonger l’univers très codifié, esthétiquement et philosophiquement, d’un pilier de la science-fiction. Denis Villeneuve avait la lourde tâche de créer une histoire qui ne soit pas redondante, qui réponde à certaines questions laissées en suspens dans le premier volet, tout en proposant un récit original. En somme, créer des ponts avec le mythe sans pour autant le pasticher. Blade Runner 2049 s’est offert une belle promotion marketing, et les courts-métrages signés par Luke Scott, fis de Ridley, et de Shin’ichirō Watanabe (Cowboy Bebop), laissaient déjà présager du meilleur. À cela s’ajoute le talent de Denis Villeneuve qui, avec Premier Contact, nous a montré qu’il s’avait allier grand spectacle et drame intimiste. Cette dualité se retrouve à nouveau ici, et témoigne du potentiel d’un cinéaste qui, à la manière d’un Christopher Nolan, mène son blockbuster avec une véritable vision d’auteur. Le pari est réussi. Blade Runner 2049 est une grande oeuvre qui se forge une identité propre, tout en témoignant d’un respect profond pour l’œuvre de Ridley Scott. On suit l’agent K, androïde chargé de « désactiver » les derniers replicants en service. Sa traque est l’occasion de tisser les liens avec l’œuvre originale en découvrant ce que sont devenus Rick Deckard et Rachel (les personnages Harrison Ford et de Sean Young), dont la relation passée est au cœur des enjeux politiques et émotionnels de cette suite. L’investigation de K se meut alors en quête d’identité. Le jeu d’acteur si particulier de Ryan Gosling se prête parfaitement à son personnage. D’abord froid et laconique, il s’enrichit à mesure que le personnage progresse dans son cheminement intérieur.
Ainsi posé, le scénario développe les questionnements existentiels récurrents chez Ridley Scott. Peut-on distinguer les hommes des androïdes quand ceux-ci sont doués d’une volonté propre et d’émotions sincères ? Tout au long du récit, les intelligences artificielles font d’avantage preuve d’humanité que les humains eux-mêmes (Robin Wright en lieutenant implacable). En témoigne le personnage de Joi, joué par Ana de Armas, hologramme créé pour satisfaire la misère affective mais qui développe un amour sincère pour l’agent K. Ces propos sont servis par une réalisation d’orfèvre, qui tranche avec l’original. Les scènes d’action sont réduites au strict nécessaire au profit d’un développement qui prend son temps et de scènes qui s’allongent, apportant une aura atmosphérique à l’œuvre. Au Los Angeles sale et grouillant de Scott, qui découlait de l’esthétique du film noir, Villeneuve substitue des décors épurés à l’architecture monolithique. Il faut saluer le travail du directeur de la photographie, Roger Deakins, qui compose des plans qui confinent à la perfection esthétique, faisant écho à certaines scènes de 2001 de Kubrick via leur construction symétrique.
Si la froideur impersonnelle, même intentionnelle, dans sa dominante de bleu et de couleurs cendrées, empêche de réellement s’impliquer émotionnellement dans les deux premiers tiers du film, l’oeuvre prend toute son ampleur dès l’apparition d’Harrison Ford, hermite dans un Las Vegas post-apocalyptique aux teintes orangées. L’émotion naît enfin, tandis que le récit se concentre sur la filiation et l’importance des liens entre les personnages, reléguant au second plan la cabale politique et l’importance de l’antagoniste (excellent Jared Leto en démiurge). C’est peut-être l’un des rares reproches que l’on peut faire à Blade Runner 2049. Villeneuve choisit de ne pas régler les enjeux politiques qu’il met en place, au profit d’une résolution intimiste de l’histoire, extrêmement riche en émotions. En témoigne le réarrangement musical du theme Tears in the Rain lors d’un climax parfaitement déchirant, qui vient conclure avec élégance la quête vieille de trente-cinq ans de Rick Deckard.
Paul Laborde
- BLADE RUNNER 2049
- Sortie salles : 4 octobre 2017
- Réalisation : Denis Villeneuve
- Avec : Ryan Gosling, Harrison Ford, Robin Wright, Dave Bautista, Jared Leto, Ana de Armas, Sylvia Hoeks, Carla Juri, Mackenzie Davis, Lennie James, David Dastmalchian, Wood Harris, Hiam Abbass, Mark Arnold, Tomas Lemarquis, Barkhad Abdi, Krista Kosonen, Elarica Johnson
- Scénario: Hampton Fancher, Michael Green
- Production: Andrew A. Kosove, Broderick Johnson, Bud Yorkin, Cynthia Sikes Yorkin
- Production exécutive : Ridley Scott
- Photographie: Roger Deakins
- Montage: Joe Walker
- Décors : Dennis Gassner
- Costumes : Renée April
- Musique : Hans Zimmer, Benjamin Wallfisch, Deva Anderson
- Distribution: Sony Pictures
- Durée: 2h43
- Site officiel du film