Synopsis : Un narrateur, le « meneur de jeu », présente une série d’histoires tournant autour de rencontres amoureuses ou « galantes ». La « ronde » passe de la prostituée au soldat, du soldat à la femme de chambre, de la femme de chambre au fils de famille, de celui-ci à Emma, la dame mariée, d’Emma à Charles son mari, de Charles à la grisette Anna qui tend la main au poète, qui l’abandonne pour la comédienne qui ne résiste pas au comte, lequel, retournant s’encanailler avec la prostituée, boucle le cercle.
♥♥♥♥♥
À l’occasion de la rétrospective Max Ophüls organisée à la Cinémathèque française jusqu’à la fin de l’année, le distributeur Carlotta ressort en salles une version restaurée de La Ronde. Réalisé en 1950, ce film marque le début de la dernière période du réalisateur. D’abord comédien et metteur en scène de théâtre, Ophüls quitte son Allemagne natale en 1933 après y avoir réalisé plusieurs films. Il poursuit sa carrière en France quelques années puis fuit à nouveau le nazisme en 1940 et se réfugie aux États-Unis. Il y tourne quatre films avant de revenir en France en 1949. La Ronde est donc le premier film de la seconde période française d’Ophüls, celle qui le verra réaliser coup sur coup ses quatre chef-d’œuvres où suivront Le Plaisir, Madame de… et Lola Montès. Comme Liebelei, son plus grand succès allemand qu’il tourna dix-sept ans auparavant, La Ronde est tiré d’une pièce d’Arthur Schnitzler. Il est constitué d’une succession de saynètes très semblables les unes aux autres qui racontent les amours passagères d’une dizaine de personnages. Celles-ci sont introduites par Anton Walbrook, le « meneur de jeu » de ce manège amoureux. Ce maître de cérémonie était absent de la pièce de Schnitzler, et c’est lui qui ouvre le film dans une scène qui symbolise à bien des égards le cinéma d’Ophüls. Dans cette séquence d’ouverture se manifeste le goût du cinéaste pour les mouvements (de personnage et de caméra) et les possibilités offertes par le tournage en studio. Cette scène est aussi la marque de ce que l’on appellerait aujourd’hui une dimension « méta ». Commençons par le goût du mouvement : le premier plan du film est en effet un travelling d’une grande beauté, long de quatre minutes, au cours duquel Walbrook déambule au sein d’un décor viennois qui ne cherche pas à dissimuler son caractère factice, sa nature de scène théâtrale.
L’utilisation du studio permet une totale liberté dans le mouvement de la caméra. D’une part, tout y est amovible, transformable. D’autre part, on peut y travailler à sa guise – ce long plan d’ouverture a nécessité deux jours de tournage, dont un entier pour la seule installation du travelling. Le studio permet aussi de donner au décor ce sentiment de merveilleux que dégage le cinéma dès lors qu’il cesse d’être strictement réaliste. Ce caractère artificiel participe aussi de cette dimension « méta » évoqué plus haut. C’est aussi le cas du personnage de Walbrook qui interviendra tout au long du film, et qui est un moyen pour Ophüls de mettre en scène sa réalisation (comme le cirque le sera également dans Lola Montès). Non seulement ce meneur de jeu rend sensible la main du démiurge, huile la mécanique de ladite ronde et souligne l’artificialité des enchaînements, mais il est aussi celui qui infuse au film sa tonalité si particulière. Celui qui colore de son ironie douce et amusée chaque séquence de cette grande comédie.
Car La Ronde est avant tout une comédie. Comédie des plus élégantes, sophistiquée à l’extrême, portée par un casting all-star. Se succèdent en effet à l’écran Simone Signoret, Serge Reggiani, Simone Simon, Daniel Gélin, Danielle Darrieux, Jean-Louis Barrault, Odette Joyeux, Gérard Philippe… excusez du peu. Chacun d’entre eux met son talent au service de cette pièce viennoise dans les années 20 d’une délicieuse légèreté dont le ton quelque peu suranné n’est pas sans en faire le charme. C’est avec un plaisir certain que l’on entend Daniel Gélin prononcer des phrases telles que « Voudriez-vous baisser les jalousies s’il vous plaît ? » ou « Enlevez-votre collet… et puis votre voilette. » C’est avec grâce qu’Ophüls, via Walbrook, orchestre ce ballet profondément frivole et amoral. Le soin apporté à chaque détail procure au cinéphile un plaisir d’une infinie finesse. Rien ici qui ne soit parfaitement réussi, qui ne s’assimile parfaitement à l’œuvre dans son ensemble.
De la valse d’Oscar Straus à la formidable performance de Fernand Gravey (entre autres, bien sûr) en mari trompé, pas un élément dont le spectateur ne puisse faire ses délices. De pièce à scandale dans le Vienne de l’entre-deux guerre, La Ronde devient avec Ophüls une comédie charmante, quoiqu’un brin mélancolique, et un grand succès dans la France de l’après-guerre. Elle annonce la période la plus faste de la carrière du cinéaste qui deviendra l’un des modèles français (avec Jean Renoir) de la Nouvelle Vague.
- LA RONDE
- Ressortie salles : 6 décembre 2017
- Version restaurée 4K
- Réalisation : Max Ophüls
- Avec : Anton Walbrook, Danielle Darrieux, Serge Reggiani, Simone Simon, Daniel Gélin, Simone Signoret, Gérard Philippe, Odette Joyeux, Jean-Louis Barrault
- Scénario : Jacques Natanson, Max Ophüls, d’après la pièce d’Arthur Schnitzler
- Production : Sacha Gordine
- Photographie : Christian Matras
- Montage : Léonide Azar
- Décors : Jean d’Eaubonne
- Costumes : Georges Annenkov
- Musique : Oscar Straus
- Distribution : Carlotta
- Durée : 1h33
- Sortie initiale : 27 septembre 1950