Ressortie / La Femme insecte de Shôhei Imamura : Critique

Publié par Camille Carlier le 28 mai 2018

Synopsis : Au début du siècle, Tome naît à la campagne dans la pauvreté la plus totale. Décidée à changer sa condition et à connaître la fortune par tous les moyens, elle part pour la ville. Son destin suit celui de son pays dont elle subit les bouleversements de front: la guerre et la reconstruction via l’occupation américaine.

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La Femme Insecte - affiche

La Femme Insecte – affiche

Le 30 mai revient dans les salles obscures en version restaurée un chef-d’œuvre de Shôhei Imamura, sorti en 1963. La Femme insecte -dont le titre original (Nippon Konchuki) peut se traduire par Chroniques entomologiques du Japon- propose une dissection de l’essence humaine au travers du parcours de Tome (Sachiko Hidari), une jeune femme que l’on va suivre depuis la naissance sur plus de quarante ans. Cinquante-cinq ans après, le réalisme du cinéma d’Imamura est toujours aussi saisissant et d’une fascinante maîtrise. Le réalisateur japonais avait d’ailleurs déclaré ne pouvoir s’empêcher d’insérer du documentaire à ses histoires et chercher à ce que son spectateur éprouve le vrai.  Ayant essuyé un scandale avec Cochon et Cuirassé, sorti en 1961, à la représentation des relations japonaises et américaines sans concession, Imamura s’était vu interdit de réaliser pendant deux ans par les studios Nikkatsu. Il revient donc en 1963 avec un scénario de son ami Keiji Hasebe pour lequel il se lancera dans un travail de recherche intense, multipliant les entretiens et interviews. C’est une proxénète qui lui fournit la matière pour le personnage de Tome (dont l’actrice recevra l’Ours d’Argent de la meilleure actrice à la Berlinale de 1964) et introduit dans l’œuvre une dimension plus spirituelle à travers la divinité de la montagne et le travail de la terre. Le film suit donc l’histoire d’une jeune femme issue de la classe ouvrière qui monte à la ville, prête à tout pour s’en sortir et faire fortune.

 

La Femme insecte

La Femme insecte

 

Comme un récit initiatique dépossédé de tout pathos et jugement, La Femme insecte s’ouvre de manière pertinente par le voyage d’une sorte de bestiole dans la terre, grattant et cherchant de quoi se sustenter. Tome n’aura de cesse de tenter les sommets, se hisser jusqu’au confort matériel au détriment de l’affectif, quitte à utiliser ses amies ou sa famille. Tout d’abord visible souvent au second plan, elle récupère petit à petit sa place dans le cadre et trouve l’apogée de sa victoire en devenant maquerelle, organisant des passes, le tout sous la protection d’un homme aisé. À aucun moment, nous ne trouvons vraiment l’émotion de compatir pour Tome, mais force est de constater que son courage et sa détermination en font une créature incroyable.

 

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Une étude clinique dont la froideur peut déranger, mais qui sans travestissement, met en scène une population en pleine névralgie, sur fond historique, de l’avant à l’après-guerre. Le thème du désir –cher au réalisateur- est présent tout du long. Celui-ci peut mener ses personnages au plus haut mais également les faire tomber, tandis que les observateurs de la-dite chute lui préfèrent le terme hypocrite de luxure. La place de la femme et le comportement qu’on en attend est également un gros fil de l’œuvre d’Imamura. Tome refuse de rester à la campagne et voit la ville comme émancipatrice d’un patriarcat dans lequel elle est née et où un homme témoin d’un accouchement demandera à la femme « d’être forte » tandis que celle-ci crie de douleur.

 

La Femme insecte

La Femme insecte

 

La Femme insecte questionne le déterminisme social, un certain atavisme du prolétariat dont les faiblesses trouvent une forme de consolation dans des cultes douteux. Tout du long la femme est objetisée, utilisée, violée ou tripotée pour finir isolée lorsqu’elle récupère l’ascendant sur son destin. Imamura les présente comme de véritables survivantes dès leur naissance, lorsque certains parents se demandent en voyant le sexe de l’enfant, s’il ne vaudrait pas mieux s’en débarrasser.

 

Les dialogues sont percutants et soulignent l’absurdité de certaines situations. Sans forcer l’émotivité, il est alors encore plus marquant de fondre pour ce qui trouve un écho particulier chez chacun. Aussi, quand Tome comprend que sa fille Nabuko -pour qui elle a toute vie tenté de gagner de l’argent afin de payer ses études- se prostitue afin de parvenir à son but, la scène se pare d’une symbolique déchirante, mettant en relief le caractère cyclique de l’œuvre.

 

La Femme insecte propose une visite hors de l’Histoire officielle, avec subtilité et réalisme pour un éveil des sens et une chronique de la misère qui le rendent encore terriblement actuel.

 

 

 

  • LA FEMME INSECTE (Nippon Konchuki)
  • Sortie salles : 30 mai 2018
  • Réalisation : Shôhei Imamura
  • Avec : Sachiko Hidari, Kazuo Kitamura, Sumie Sasaki, Teruko Kishi..
  • Scénario : Keiji Hasebe, Shôhei Imamura
  • Production :  Kazuo Otsuka / Nikkatsu
  • Photographie :  Shinsaku Himeda
  • Montage : Mutsuo Tanji
  • Décors : Kimihiko Nakamura
  • Musique : Toshiro Mayuzumi
  • Distribution :  Mary-X Distribution
  • Durée : 2h03
  • Date de sortie initiale : 1963

 

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