Synopsis : Sept étrangers, chacun avec un secret à planquer, se retrouvent au El Royale sur les rives du lac Tahoe ; un hôtel miteux au lourd passé. Au cours d’une nuit fatidique, ils auront tous une dernière chance de se racheter… avant de prendre un aller simple pour l’enfer.
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Près de six ans après La Cabane dans les bois, Drew Goddard revient à la réalisation d’un long-métrage avec un nouveau casse-tête haletant. Couronné de succès pour avoir écrit le script de Seul sur mars et mis sur pied la série Daredevil, le réalisateur américain nous propose cette fois une intrigue beaucoup plus personnelle. Une fois encore, il s’agit d’une variation d’un huis clos où les personnages ne sont ni dans une cabane, ni sur Mars, mais bien dans un milieu hostile où passer la nuit n’est pas garanti. Goddard déforme ainsi les règles du genre, l’unité de lieu étant respectée, quoique techniquement l’hôtel se trouve à la frontière de la Californie et du Nevada. On espère que vous êtes confortablement installés car à l’instar des clients de l’El Royale, vous n’imaginez pas ce que le sort vous réserve. Tout d’abord, quelques clefs de lecture. Le thriller est segmenté par des cartons où chaque numéro de chambre indique un nouveau portrait qui déconstruit un par un ce que le spectateur croit savoir. En se jouant habilement de nos perceptions façon poupées russes, le scénario réinvente chaque personnage à l’inverse d’un Cluedo où tout le monde serait coupable de quelque chose. Si le mystère prend, on se demande bien où tout ça nous mène car l’absence d’enjeux peut décontenancer à mesure que la nuit progresse. La frustration s’installe lorsque Goddard choisit délibérément de ne pas explorer toutes les pistes qu’il met en place. Indices, McGuffin, cul-de-sac etc. tout est bon pour faire croire au spectateur qu’il a une longueur d’avance. Est-ce malin ou malhonnête ? On vous laisse décider, mais c’est dans ce paradoxe que réside la force de l’oeuvre.
Au-delà du film à tiroirs, Sale temps à l’hôtel El Royale est bien ancré dans la réalité et témoigne de la mort du rêve américain. Cet idéal brisé a laissé place à une société meurtrie par la décennie qui vient de s’achever. Banditisme, paranoïa, ségrégation, l’Amérique s’est perdue en chemin et doit panser ses blessures mais la guérison ne sera pas tout repos et les clients de l’hôtel vont en faire les frais. L’autre argument de vente est justement la distribution. En s’entourant d’un casting de choix composé d’acteurs populaires ayant fait leur preuve, certains artistiquement et d’autres commercialement, Drew fait mine de nous donner des points de repères. Certains visages sont rassurants, d’autres intrigants mais tous dissimulent bien plus que ce qu’ils ne laissent paraître.
Chacun a l’opportunité de briller avant que des têtes ne tombent. Si Jon Hamm fait du Jon Hamm et Jeff Bridges du Jeff Bridges, on apprécie particulièrement l’utilisation à contre-emploi de Chris Hemsworth. L’acteur de Thor, conscient de son capital sympathie, use de son aura et de ses charmes pour donner vie à un personnage aussi manipulateur que pervers. Dakota Johnson semble également très à l’aise mais on retient surtout la performance de Cynthia Erivo qui tient la dragée haute. Celle que nous retrouverons prochainement à l’affiche des Veuves de Steve McQueen infuse le film de son charisme et ses performances vocales contribuent beaucoup à nous plonger dans cette ambiance sixties. Mais vous n’êtes pas au bout de vos surprises car les blockbusters n’ont plus le monopole du caméo et les plus cinéphiles d’entre vous seront ravis de découvrir une courte apparition d’un acteur-réalisateur peu habitué à ce genre de production…
Sale temps à l’hôtel El Royale est donc incontestablement un thriller chiadé qui peut se targuer d’avoir réuni un casting malin, une photographie léchée et une bande-originale diablement envoutante. On regrette néanmoins que le film soit aussi long (2h22) et qu’il s’autorise quelques raccourcis scénaristiques. À l’heure actuelle, il est tout même judicieux de féliciter l’ambition d’un studio qui ose encore prendre des risques pour proposer un puzzle qui devrait enchanter les fans du genre. En tous cas, nous, on en redemande.
Hugo Martinez
- SALE TEMPS À L’HÔTEL EL ROYALE (Bad Times at the El Royale)
- Sortie salles : 7 novembre 2018
- Réalisation : Drew Goddard
- Avec : Chris Hemsworth, Dakota Johnson, Jon Hamm, Jeff Bridges, Cynthia Erivo, Lewis Pullman, Cailee Spaeny, Manny Jacinto, Jim O’Heir, Jonathan Whitesell, Bethany Brown, Mark O’Brien, Alvina August
- Scénario : Drew Goddard
- Production : Drew Goddard, Jeremy Latcham, Steve Asbell, Mary McLagen
- Photographie : Seamus McGarvey
- Montage : Lisa Lassek
- Décors : Hamish Purdy
- Costumes : Dany Glicker
- Musique : Michael Giacchino
- Distribution : 20th Century Fox
- Durée : 2h22