Résumé : Jack Sparrow, dont le nom de moineau claque comme un drapeau dans le vent (celui d’un navire rempli de dangereux flibustiers), est à la fois le pire et le meilleur des pirates. Ses aventures fantasques et fantastiques nourrissent depuis zoo ; la franchise de blockbusters hollywoodiens Pirates des Caraïbes. Créé, d’après une attraction du parc Disneyland, par les scénaristes hollywoodiens Ted Elliott et Terry Rosso, spécialistes du cinéma d’aventures et d’animation, et interprété pour l’éternité avec une réjouissante et irrésistible facétie par l’acteur Johnny Depp, Sparrow affronte inlassablement des soldats, des boucaniers, des rivaux, des zombies, des krakens et d’autres créatures surnaturelles à la recherche de trésors prodigieux. Entre deux gorgées de rhum (et deux ivresses), Sparrow parvient à ses fins en parlant, en négociant, en mentant et en trahissant. L’arme préférée du pirate n’est autre que la parole. Mais quels sont donc les ressorts retors de cette linguistique pirate ?
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Au carrefour de la linguistique et du cinéma (mais aussi de la philosophie et de l’Histoire), cet essai consacré à la plus célèbre figure de la piraterie hollywoodienne se révèle intéressant à plus d’un titre. Laurent de Sutter, théoricien du droit et directeur de collections à Polity Press et aux Presses Universitaires de France, dresse une cartographie aux tracés multiples. Les chemins de traverse et autres parcours souterrains dictent la direction à la manière d’une boussole à l’aiguille impertinente et acérée. Car la pensée de l’auteur est vive, sa réflexion souvent passionnante, conciliant dans un même mouvement approche ludique et érudition du fond. Entre figures historiques et références de haut vol (les textes de Derrida, Barthes, ou Lacan sont parfaitement éclairés et s’intègrent harmonieusement à l’argumentaire de l’auteur), l’ouvrage propose un séquençage aussi prolixe que les pistes d’interprétation qu’il rassemble. Jeux de mots, lapsus, discours implicite du langage, et autres fourchements de langue constituent la matière principale d’une analyse qui s’ancre à l’intérieur des dialogues et des postures verbales parcourant la célèbre saga cinématographique. Cette franche réussite théorique n’empêche la présence de quelques manques. On regrettera ainsi que De Sutter ne se soit pas plus appuyé sur les images des films, c’est-à-dire sur le caractère de leurs mises en scène, pour appuyer certains de ses arguments. De la même manière, l’étude de la figure de Jack Sparrow aurait pu profiter d’une analyse du jeu ou plus largement de la représentation de son interprète. La gestuelle apprêtée et au semblant anarchique de Johnny Depp ne possède-t-elle pas en elle-même une valeur proprement linguistique (entre reprise biaisée des codes et orchestration polysémiste des signes) ? Ces lacunes doivent cependant être relativisées à l’aune du parti pris de l’ouvrage qui vise principalement la question de la fabrication fictionnelle du personnage. Sur ce point, l’essai tient bon la barre. Et c’est là l’essentiel.
- JACK SPARROW. MANIFESTE POUR UN LINGUISTIQUE PIRATE
- Auteur : Laurent de Sutter
- Éditions : Les Impressions nouvelles
- Collection : La fabrique des héros
- Date de parution : 7 février 2019
- Format : 128 pages
- Tarif : 12 € (print) – 7,99 € (numérique)