Résumé : L’œuvre de Lee Chang-dong interroge le statut du voir et de l’invisible dans un monde contemporain saturé d’images et d’informations qui oscille entre réalité et fantasme, histoire et fiction. Un cinéma qui explore l’esthétique de la disparition par le hors-champ de l’image sur fond de critique sociale et politique, de la mémoire oubliée de l’homme à son Histoire ou à la Nature. Des images « perceptives » qui invitent à l’empathie pour ressentir « la sensation universelle de la vie » à travers de jeunes adultes qui louvoient avec leur désespoir existentiel dans ce monde dont ils sont captifs, l’espoir en berne malgré leur rage. Un cinéma qui se joue aussi des catégories cinématographique – avec des histoires cachées dans des récits emboités par la recréation de durées différées dans la narration ou glissées dans la bande son. Entre fiction et témoignage documentaire sur notre époque, Lee Chang-dong invente un régime d’images qui en appelle à la perception et à l’imagination en sollicitant les images mentales (invisibles) du spectateur. Un retour de mémoire pour percevoir ce « quelque chose » qui ferait vibrer les contours du réel d’un monde contemporain en cours d’évaporation et de disparition dans le virtuel.
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La sortie de Burning semble avoir été communément perçue comme un accomplissement. Pour ses admirateurs de la première heure, le réalisateur Lee Chang-Dong signe ici une Å“uvre de synthèse, entérinant dans un même mouvement les valeurs d’un style, de thématiques et d’une approche amorcée depuis 1997 et la sortie de Green Fish. Le moment était donc particulièrement bien choisi pour la publication de ce premier ouvrage en langue française consacré au cinéaste sud-coréen. Cette initiative revient à  Daniele Riviere, directrice de collection aux éditions Dis Voir, qui a fait appel à Antoine Coppola, réalisateur et maître de conférences en cinéma à l’Université Sungkyunkwan de Séoul, dont la proximité avec Lee Chang-Dong a permis la retranscription d’un long entretien inédit. Au cours de celui-ci, le cinéaste revient sur son enfance, son Å“uvre littéraire et ses rapports avec ses films, sa courte carrière en tant que ministre de la culture (de 2003 à 2004), et évidemment sa vision du cinéma. Associant pragmatisme et engagement, les réponses de Lee Chang-Dong éclairent les ambitions d’une production cherchant délibérément à prendre à rebours les canons institutionnalisés du cinéma mainstream. Aux côtés de Coppola, Jean-Philippe Cazier, écrivain et critique, corédacteur en chef du magazine Diacritik, et Véronique Bergen, philosophe, écrivaine et collaboratrice à diverses revues, proposent deux longues études qui analysent dans le détail les différentes facettes de la filmographie de Lee Chang-Dong. Temporalités, espaces, atmosphères, représentation des corps et des matières constituent les grands axes de ces recherches au long cours. Le caractère analytique de l’ouvrage est parfaitement relayé par la mise en page des éditions Dis Voir qui n’ont pas lésiné sur les illustrations. Les nombreuses captures d’écran ponctuant l’écrit assurent la précision des développements et permettent de concrétiser leurs enjeux à travers la représentation des plans et séquences convoqués. Si cet apport visuel est en tout point louable, on pourra regretter que l’agrandissement de certains photogrammes ait altéré leur rendu. Par ailleurs, la présence d’une bibliographie internationale (articles, entretiens, romans écrits par le cinéaste…) aurait pu être intéressante. Ces petits écarts n’entravent pourtant en rien la grande qualité d’un ouvrage qui permet d’offrir un panorama assez élargi d’une Å“uvre et de la personnalité d’un artiste qui méritent, toutes deux, d’être (re)découvertes.
- LEE CHANG-DONG
- Auteurs : Antoine Coppola, Véronique Bergen et Jean-Philippe Cazier
- Éditions :  Dis Voir
- Collection : Cinéma
- Date de parution : Septembre 2019
- Format : 128 pages
- Tarif : 35 € (disponible en anglais et en français)