Résumé : Aux Etats-Unis, le roman national s’écrit sur grand écran. De la conquête de l’Ouest à la crise des subprimes, de la Prohibition aux suites du 11 Septembre en passant par l’arrivée des migrants européens à Ellis Island ou la création de la CIA, le cinéma américain s’est révélé une formidable machine à fabriquer du mythe, brouillant constamment la frontière entre fiction cinématographique et réalité historique. C’est ce qui fait d’Autant en emporte le vent et de Bonnie & Clyde, de Scarface et de Rambo ou du Soldat Ryan autant d’accès privilégiés aux fantasmes qui n’ont cessé de travailler la société étasunienne et continuent encore de la façonner. A égale distance des récits triomphalistes et des clichés conspirationnistes, Filmer la légende brosse un tableau tout en nuances de l’histoire des Etats-Unis telle que le cinéma de ce pays n’a cessé de la raconter depuis plus d’un siècle, nourri par l’analyse de plus d’une centaine de films. Par là même, Florence Arié et Alain Korkos renouvellent en profondeur notre vision du cinéma hollywoodien.
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« Print the legend ! », la célèbre réplique clôturant L’Homme qui tua Liberty Valence pourrait se généraliser à l’ensemble du cinéma américain. Imprimer ou filmer la légende pour mythifier la réalité afin d’en éclairer ou d’obscurcir les enjeux, un double-discours qui constitue la toile de fond de cet ouvrage écrit par Florence Arié, professeure agrégée d’anglais, et Alain Korkos, illustrateur, écrivain et journaliste. En racontant l’histoire de l’Amérique à travers ses productions cinématographiques, les deux auteurs poursuivent une recherche au long cours qui nous entraîne de la conquête de l’Ouest à la récente crise économique en passant par la Grande Dépression, les deux guerres mondiales, l’assassinat de Kennedy, les mouvements pour les droits civiques, le conflit vietnamien et les attentats du 11 septembre 2001. À partir d’un large corpus de films, Arié et Korkos s’attellent à démêler le vrai du faux tout en relevant les modalités de fictionnalisation à l’œuvre. La traditionnelle lecture de l’Histoire se couple donc d’une attention aiguë au scénario et à la mise en forme(s) des productions envisagées. Chaque chapitre se construit ainsi selon une comparaison entre différents films incarnant autant de points de vue sur un événement particulier. Si la vaste fresque proposée par l’ouvrage a de quoi impressionner, on peut regretter que certains épisodes ne profitent que d’une analyse de surface, les auteurs cédant parfois à la tentation du parti pris. Ce discours critique peut être plaisant et s’inscrit logiquement dans la perspective scientifique à l’origine de l’écrit mais reste limité quand il s’appuie sur de simples éléments biographiques chargés de discréditer la réflexion historique d’un cinéaste (ainsi du passé militaire de Stone censé directement expliciter sa représentation de la guerre du Vietnam dans Né un 4 juillet). De la même manière, le cinéphile relèvera sans doute le peu d’attention accordée à certains films (Les Visiteurs de Elia Kazan ou Bienvenue Mister Chance de Hal Ashby qui aurait offert un intéressant contre-point au Forrest Gump de Zemeckis). On pourra juger cette dernière remarque comme inévitable concernant un ouvrage dont l’un des principaux mérites est de viser la conception d’une étude générale. Il faut alors reconnaître que le versant historique de cet écrit concrétise bel et bien son ambition d’exhaustivité, proposant une solide entrée en la matière pour qui s’intéresse à l’Amérique, à son histoire et à ses nombreuses légendes.
- FILMER LA LÉGENDE. COMMENT L’AMÉRIQUE SE RACONTE SUR GRAND ÉCRAN
- Auteurs : Florence Arié et Alain Korkos
- Éditions : Les prairies ordinaires
- Date de parution : 4 octobre 2019
- Format : 440 pages
- Tarif : 20 €