Résumé : Chris Kyle est un héros. Ancien sniper chez les Navy Seals durant la deuxième guerre d’Irak, il a tué plus de 160 « cibles ». Au faîte de sa gloire (Clint Eastwood a même acheté les droits de son autobiographie, bestseller aux États-Unis, pour en faire un film – ce sera « American Sniper »), Chris Kyle dédie sa vie à aider ses anciens camarades de combats marqués aussi bien physiquement que mentalement par la guerre. Eddie Ray Routh est l’un d’entre eux. Le 2 février 2013, l’inconnu Eddie Ray Routh abat la Légende Chris Kyle. Ce livre raconte le crime – et ses conséquences.
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C’est peu dire que la sortie American Sniper (2014) a divisé la critique française. Là où certains ont fustigé le discours patriotique du film, d’autres ont félicité la conduite de la mise en scène d’Eastwood tout en remarquant la continuité thématique incarné par ce biopic avec le reste de sa filmographie. Question de fond et de forme, peut-être, d’intérêt cinéphilique, sans doute. Il est cependant intéressant de noter la différence entre la réception du film en France et aux États-Unis. Car si pour les spectateurs français le nom de Chris Kyle n’évoque pas grand chose, pour les Américains, ce sniper honoré par 5 Bronze Star et 2 Silver Star pour ses actes de “bravoure” en Irak est un authentique héros dont l’assassinat le 2 février 2013 par un vétéran atteint de PTSD (trouble de stress post-traumatique) a transformé en légende. C’est en découvrant le film d’Eastwood que Fabien Nury, scénariste de ce roman graphique, a eu l’idée de découvrir le visage de Kyle, soldat, père, mari, businessman au grand cœur, mais aussi celui de Eddie Ray Routh, son assassin. Ce récit se construit à la manière d’un documentaire, révélant un travail de fond poussé et une volonté de souligner avec un maximum d’objectivité les enjeux de ce drame profondément ambiguë. En ce sens, la référence inaugurale à L’Homme qui tua Liberty Valance (la fameuse réplique conclusive ouvrant l’album) n’est pas anodine. La légende imprimé par le visage confiant de Kyle (puis par celui de Bradley Cooper qui lui prête ses traits dans le film d’Eastwood) ne peut exister sans son contrechamp, celui, famélique et perturbé, d’Eddie qui incarne à la fois son double et son antagoniste.
De la parution de American Sniper, l’autobiographie de Kyle (rapidement devenu un best-seller aux États-Unis) au procès d’Eddie (qui sera condamné à perpétuité), l’ouvrage se lit d’un trait et impose la réflexion. La volonté affichée de ne pas prendre partie permet de mieux cerner la complexité de cet événement dont l’introduction et l’épilogue sont conjointement placés sous le signe de la mort. Si on a pu parler de “cinéma-direct” ou de “cinéma-vérité” pour qualifier la nouvelle mouvance documentariste des années 1960, cet ouvrage prouve que ces qualificatifs pourraient tout à fait s’adapter à l’univers de la bande dessinée.
Au dessin, Brüno a brillamment su adapter son trait à l’esprit du scénario. Adoptant un style sec et précis, le dessinateur se détourne de la dramatisation pour adopter une posture distanciée qui participe directement à la qualité narrative de l’album. Sous le couvert d’un respect scrupuleux du réel (retranscription des images télévisées ou de vidéosurveillance), Brüno inscrit son sens du détail dans la bande défilante des cases. L’homogénéité des couleurs implose ponctuellement dans le recours au contraste qui révèle la nature duelle au cœur de cette légende aussi américaine que contemporaine.
- L’HOMME QUI TUA CRIS KYLE. UNE LÉGENDE AMÉRICAINE
- Auteurs : Fabien Nury (scénario) et Brüno (dessin)
- Éditions : Dargaud
- Date de partion : 29 mai 2020
- Langues : Français uniquement
- Format : 164 pages
- Tarif : 22,50 €