Résumé : Au début des années 1970, le grand poète, philosophe et réalisateur italien Pier Paolo Pasolini décide de porter à l’écran trois grands récits fondateurs : Le Décaméron, Les Contes de Canterbury et Les Mille et Une Nuits. Réjouissante, extravagante, ambitieuse, sa « Trilogie de la vie » est autant une satire de la société de consommation moderne qu’une réflexion sur les mœurs, la sexualité, la religion et le pouvoir.
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La filmographie de Pier Paolo Pasolini, et c’est là l’une de ses grandes qualités, pose souvent problème au cinéphile. À la différence de ses compatriotes, Fellini et Antonioni en tête, les relations entre les productions du natif de Bologne se configurent selon un réseau rompu aux lois de la contradiction. Là où la division de l’œuvre d’un Visconti peut se comprendre selon un effet de bascule (il y a indéniablement, et quoi qu’on en dise, un avant et un après Senso), celle de Pasolini entretient un doute constant, évoluant selon une catégorisation éparse et, au fond, totalement subjective. C’est peu dire que l’unité est mise à mal, tandis que la rupture règne, en écho à l’esprit d’un auteur qui ne cessa d’articuler radicalisme et empathie, croyance et lucidité. Certes, des ponts peuvent malgré tout être dressés. Les diptyques (Accatone / Mamma Roma ; Œdipe Roi / Médée) côtoient comme naturellement les inclassables (Des oiseaux, petits et gros ; L’Évangile selon saint Matthieu ; Théorème) à travers un ensemble dont l’éclectisme s’accomplit encore par la richesse, encore trop peu connue en France malgré le travail de fond orchestré par René de Ceccatty, de son œuvre littéraire (essais, pamphlets, romans, ou recueils de poèmes). Où donc situer encore cette « trilogie de la vie » que la maison Carlotta se propose de réunir dans un coffret Blu-ray inédit ?
- Le Décaméron
- Le Décaméron
Liés par leur forme, leur approche libérée de la tradition, et la récurrence de certains patronymes (le producteur Alberto Grimaldi, le compositeur Ennio Morricone, le décorateur Dante Ferretti, le monteur Nino Baragli, l’acteur Ninetto Davolli, communément marqueurs de l’unité de la trilogie) oscillant entre la fable aux accents mythologiques et l’essai cinématographique, Le Décaméron (1971), Les Contes de Canterbury (1972), Les Mille et Une Nuits (1974), pourraient en définitive résoudre une partie du paradoxe Pasolini. Car à revoir ce corpus à la poésie sensuelle, mystique et débridée, le spectateur se surprend à y trouver des réminiscences des productions passées ainsi que l’émergence d’un point de non retour qu’incarneront quelques années plus tard les fameuses bacchanales politiques de Salo (dont la beauté sordide fut, il est vrai, anticipée par Porcherie).
- Les contes de Canterbury
- Les contes de Canterbury
La structure narrative éclatée que partagent ces trois films affirme le goût de Pasolini pour la forme déliée. Celle-ci influe directement sur l’orientation visuelle de sa mise en scène, marquée par la constance des micro-mouvements du cadre et la précision du découpage. Ces deux éléments rapprochent le style des films du format documentaire, prolongeant le projet ethnographique et anthropologique mené par le réalisateur depuis son premier long métrage. L’environnement, les décors naturels, incarnent une forme de médiation entre le passé et le présent, l’imaginaire, l’artifice et le concret.
Plus particulièrement dans Les Mille et Une Nuits, dont l’orientalisme se voit crédibilisé par le recours aux paysages de l’Inde, du Yemen, et du Népal, le corps ne semble faire qu’un avec son environnement. La « trilogie de la vie » semble en ce sens mener à bien l’ancien rêve néoréaliste dont Pasolini a toujours semblé chercher à raviver la flamme. Un néoréalisme dont l’hypothétique pureté naguère proclamée par Zavattini affirme son instabilité essentielle.
- Les mille et une nuits
- Les mille et une nuits
Contrairement à ce que l’on aurait pu craindre, le master HD proposé par Carlotta ne retire rien à la puissance organique qui se dégage de la vision de ces images. La restauration a bien heureusement évité l’écueil trop fréquent du lissage pour préserver la beauté brute si caractéristique du cinéma de Pasolini. La maison a par ailleurs eu la bonne idée de conserver les bonus de sa précédente édition DVD. On prend ainsi un réel plaisir à écouter l’acteur Ninetto Davoli dans un entretien d’un peu plus d’une demi-heure, tandis que la présence de deux scènes coupées des Mille et Une Nuits permet de prolonger le plaisir pris à la redécouverte de ces indispensables.
- LA TRILOGIE DE LA VIE (Le Décaméron, Les Contes de Canterbury, Les Mille et Une Nuits)
- Éditions : coffret 3 Blu-ray – nouveau Master haute définition (disponible aussi en Coffret DVD)
- Date de sortie : 12 octobre 2020
- Réalisateur : Pier Paolo Pasolini
- Avec : Ninetto Davoli, Silvana Mangano, Pier Paolo Pasolini, Hugh Griffith, Laura Betti, Alan Webb, Josephine Chaplin, Franco Citti, Franco Merli, Ines Pellegrini
- Scénario : Pier Paolo Pasolini et Dacia Maraini
- Producteurs : Alberto Grimaldi
- Photographie : Tonini Delli Colli, Giuseppe Ruzzolini
- Montage : Nino Baragli, Tatiana Casini Morigi
- Costumes : Danilo Donati
- Musique : Sergio Leone
- Éditions : Carlotta Films
- Durée : 352 minutes
- Prix : 50 €