Visage bien connu des cinéphiles, l’acteur, dramaturge et scénariste Jean-Pierre Bacri est décédé le lundi 18 janvier des suites d’un cancer. À 69 ans, il laisse derrière lui une œuvre marquée par une activité multiple qui signa son audace et assura sa pérennité.
Jean-Pierre Bacri a incarné pendant de nombreuses années l’image d’un cinéma français qui sut concilier succès populaire et reconnaissance critique. Un cinéma qui pliait sa mise en scène au sens du dialogue et du jeu des acteurs. Un cinéma qui, comme Bacri, sonnait indubitablement vrai.
Ce sens de la vérité émanait d’abord d’un physique qui s’accordait à la caractérisation réaliste de ses rôles. Sa barbe de trois jours, sa calvitie, son physique ordinaire composaient un type passe-partout dont l’acteur se chargeait de rappeler le caractère unique. Sa voix profonde et la sécheresse de ses traits permettaient ainsi de sublimer son allure terre à terre par la grâce d’une sensibilité particulière.
Le corps s’effaçait alors au profit du visage. Son air morgue se vitalisait par la mobilité d’un regard particulièrement expressif et l’esquisse d’un sourire maladroit et timide. Ce comportement changeant comme illustration d’une humanité particulière, Bacri le maîtrisait totalement. Formé au cours Simon, il engage en parallèle une carrière de dramaturge. En 1977, il fait ses premiers sur les planches dans Les Catcheuses mise en scène par Jean-Louis Manceau et achève l’écriture de sa première pièce, Tout simplement. Récompensé par le prix de la Fondation de la vocation en 1979 pour sa troisième pièce, Le Doux Visage de l’amour, il débute sa carrière au cinéma en incarnant différents seconds rôles.
Les années 1980 le voient développer son originalité sous la direction de cinéastes éclectiques : Diane Kurys (Coup de foudre, 1983), Claude Lelouch (Édith et Marcel, 1983), Claude Pinoteau (La Septième Cible, 1984), Luc Besson (Subway, 1985), Jean-Charles Tacchella (Escalier C, 1985), Tony Gatlif (Rue du départ, 1986), Jean-Pierre Mocky (Les Saisons du plaisir, 1988), Pierre Tchernia (Bonjour l’angoisse, 1988), Jean-Marie Poiré (Mes meilleurs copains, 1989) ou Alain Berbérian (La Cité de la Peur, 1994).
Si ces différentes collaborations lui permettent de se forger une solide réputation, il lui faudra attendre la fin des années 1990 pour que l’institution reconnaisse pleinement son talent d’acteur en lui attribuant le César du meilleur acteur dans un second rôle pour On connaît la chanson (Alain Resnais, 1998).
C’est d’abord grâce à l’écriture que Bacri affirmera son importance artistique. Formant avec Agnès Jaoui un tandem prolifique, ils cosignent en 1992 le succès théâtral Cuisine et Dépendances, adapté l’année suivante au cinéma par Philippe Muyl. En tant que scénaristes, Jaoui et Bacri se font remarquer avec Smoking/No Smoking (1993) d’Alain Resnais qui leur permet de remporter le César du meilleur scénario original, récompense qu’ils obtiendront à nouveau en 1997 et en 1998 pour Un air de famille de Cédric Klapisch et On connaît la chanson.
L’écriture du duo est marquée par son sens aiguë du détail dans la caractérisation des personnages ainsi que par sa volonté de démythifier un environnement sociologique dont les déterminismes sont perçus comme aliénants. La finesse des dialogues s’enrichit d’une lucidité parfois amère, tandis que l’écriture s’épanouit pleinement dans le récit choral. Le style Jaoui-Bacri rappelle par moments les collaborations de Jean-Loup Dabadie et Claude Sautet, à travers le développement d’une atmosphère mélancolique s’orientant tour à tour vers le grinçant et la douceur.
Cette formule trouvera son plein accomplissement avec le multirécompensé Le Goût des autres (2000) dont l’immense succès en salle signa le renouvellement d’un cinéma d’auteur décomplexé et ouvert à l’originalité.
Car Bacri n’hésitait pas à bousculer les catégories, trouvant autant sa place dans le drame intimiste que dans la comédie. Acteur, il accompagne ainsi la première incursion d’Alain Chabat en tant que réalisateur avec Didier (1997), avant de participer à l’écriture du scénario de son second film Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre (2002) et de rejoindre le casting de Santa et Cie (2017), sa dernière production en date.
De Bacri, on se rappellera ces différentes figures et facettes, un talent protéiforme qui s’accomplit dans le langage du visage comme dans celui de la plume.