Synopsis : À partir de lettres écrites lors de ses voyages sur différents continents, un caméraman, Sandor Krasna, questionne son rapport aux images qu’il filme, met en parallèle les civilisations et interroge la place de l’Homme dans le monde.
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Film épistolaire à la croisée de nos mondes et de nos visages, Sans soleil (1982) se veut porteur des nouvelles coordonnées du XXe siècle. C’est le temps qui se constitue comme l’objet principal du projet de Chris Marker. Un temps qui se déploie et se replie, qui traverse les continents pour revenir à son point de départ : l’image, ou plutôt une image, celle de trois enfants islandais à la blondeur étincelante. Loin de la terre de glace et de cendres, c’est au Japon que le réalisateur prolonge son enquête. À la manière du Roland Barthes de L’Empire des signes, Marker interroge la culture nippone dans ce qu’elle a de plus immuable et de plus changeant. Sumo et kimonos, idoles animales, spiritualité ancestrale et idéogrammes rencontrent les façades d’une modernité polysémique. De ce contraste dont le film ne cesse de décrire les écarts, Marker rappelle le lien essentiel. L’humanité et sa mise en image(s) dans la réflexion du passage, de la transition entre les âges, de la lutte, de la guerre et de l’horreur. Les carcasses des animaux, les soubresauts politiques qui frappent le Cap-Vert, se déclinent sous la forme de regards-caméras, soucieux et souriants, complices ou réfractaires. Le fil conducteur de tout ceci, c’est d’abord la voix off de Florence Delay, femme de lettres et interprète de la Jeanne d’Arc de Robert Bresson. Cette voix lit, retrace le flux des pensées qui animent les images défaites et recomposées par Marker. Liés par le montage, les plans ne cessent de se reconstruire par le recours aux nouvelles technologies visuelles qui ont investi la décennie 1980. Le traitement informatique affecte la bande musicale aux accents électroniques mais aussi, bien sûr, le rapport à ces nouvelles images qui fascinent le réalisateur.
Les pixels du jeu vidéo, les couleurs irréelles du médium vidéo, se veulent porteur d’une mémoire bien connue des cinéphiles ; celle du souvenir visuel que convoque ici les références à la Zone tarkovskienne, à l’errance de Jeffries dans Vertigo, au récit photographique de La Jetée, matrices de ce nouveau rapport au temps. C’est finalement le symbole que retient le réalisateur. Un symbole vivant montrant des chiens courir sur une plage, des promeneurs contempler les reliques d’un temps ancien qui se rappelle à nous par des bribes, des ruines et des vestiges, à la manière du ressac de la mer dont Héraclite avait naguère professé le paradoxe essentiel.
Ici s’affirme la beauté du geste de Marker, dans cette volonté de conserver les traces d’une marche disparate dont la logique du parcours se mesure d’abord selon un axe vertical, propre aux strates temporelles. Ce qui apparaît alors ce n’est pas tant l’absence du soleil que l’émergence d’une éclipse qui découvrira un astre différent mais non moins éclatant que son modèle.
La restauration 2K respecte l’énergie fugace de la version d’origine. La conservation du grain de l’image atteste de la valeur de document que l’on peut prêter au film, mais aussi de l’érotisme qui affecte la matière de ses compositions. La maison Potemkine Films a vu les choses en grand. Le coffret DVD / Blu-ray s’accompagne de jolis compléments : Le Labyrinthe d’herbes, court métrage de Shûji Terayama dont la version française fut écrite par Marker, Tokyo Days, une promenade dans la métropole japonaise en compagnie d’Arielle Dombasle, et un entretien avec Florence Delay qui revient sur la méthodologie du réalisateur et livre une brillante analyse du film.
Enfin, un livre permet de prolonger la réflexion du cinéaste à travers la compilation de différents documents dont Le dépays, ouvrage photographique écrit et composé par Marker en parallèle de Sans soleil et dont l’édition a depuis longtemps été épuisée.
- SANS SOLEIL
- Éditions : Coffret DVD / Blu-ray + livre
- Date de sortie : 2 février 2021
- Réalisation et Scénario : Chris Marker
- Avec : Florence Delay (voix off), Arielle Dombasle
- Producteur : Anatole Dauman
- Photographie : Chris Marker
- Montage : Chris Marker
- Musique : Michel Krasna
- Éditions : Potemkine Films
- Durée : 1h44
- Sortie initiale : 1982
- Tarifs : 39,90 €