Résumé : Opaque ou translucide, de voile ou de fer, de pluie ou de feu, polyvalent, métaphorique, le rideau participe à la mise en scène et au cadrage dans le cinéma d’Alfred Hitchcock. Il sert l’intrigue et exalte le double-jeu des personnages de Downhill (1926) à Family Plot (1976). Le rideau se ferme, se lève et tombe sur la représentation de l’amour et du crime : Éros et la destruction, pour reprendre les mots d’André Téchiné, ne sont-ils pas « les seuls moteurs du cinéma hitchcockien »? Un espace théâtralisé par le cinéaste, domestique ou public, est sans issue : impuissante à quitter la scène de son théâtre fantasmé, une femme passionnée s’immole par le feu (Rebecca).
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Après l’escalier, l’objet, la musique et la peinture, Lydie Decobert, agrégée d’Arts plastiques et Docteurs en Arts et Sciences de l’Art, prolonge sa recherche du motif hitchcockien en abordant la question du rideau. De celui-ci, l’auteure retient d’abord la dimension théâtrale qui assure l’organisation de l’espace visuel et dramaturgique. Fermeture, lever et chute structurent la forme de l’essai qui interroge tour à tour la nature matérielle de l’objet, son potentiel spectaculaire, et sa substitution métaphorique par l’élément naturel. Si certains exemples vont de soi (le rideau de chambre dans Rebecca ou celui de douche dans Psychose), Decobert a le mérite d’élargir son corpus de recherche en embrassant l’ensemble de la filmographie du cinéaste. Cette démarche est d’autant plus méritante que l’écrit profite d’un esprit de synthèse qui assure la viabilité des réflexions et pistes d’interprétation engagées. L’ouvrage permet en outre de lever un nouveau voile (ou rideau) sur l’appréhension de l’œuvre hitchockienne, rappelant l’importance de la théâtralité dans sa mise en scène. De la représentation littérale de l’espace scénique (le cirque dans Murder !, le music-hall dans Les 39 marches, le théâtre dans L’Homme qui en savait trop, le ballet dans Le Rideau déchiré) à la récupération de sa dynamique dramatique, l’essai profite de sa problématique pour réhabiliter certaines productions mésestimées (ainsi du Grand Alibi). La qualité scientifique de la recherche est encore renforcée par son exigence analytique. Decobert développe ses propos à partir d’une description rigoureuse et stimulante de séquences qui lui permet d’assurer du bien-fondé de son entreprise. Cette qualité descriptive est par ailleurs relayée par les nombreuses captures d’écran émaillant l’ouvrage. D’excellente facture, ces illustrations permettent à la fois d’étayer l’argumentation de l’auteure et d’en amplifier sa portée. On notera enfin la présence d’un référencement pluriel qui, de la philosophie à la littérature en passant par les incontournables ouvrages consacrés au maître du suspense, entérine l’excellence de cet essai.
- LES JEUX DE RIDEAU D’ALFRED HITCHCOCK. LE THÉÂTRE DE L’AMOUR ET DU CRIME
- Autrice : Lydie Decobert
- Éditions : L’Harmattan
- Collection : Champs visuels
- Date de parution : 5 janvier 2021
- Langues : Français uniquement
- Format : 208 pages
- Tarifs : 21,50 € (print) – 15,99 € (numérique)