Synopsis : Le cinéma est une affaire de spectres. Harun Farocki a entrepris dans ses films un travail de conjuration des puissances supposées des images afin non pas de nous permettre de mieux les « lire », mais de mieux les « voir » et de pouvoir vivre avec elles.
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Considérant la « hantologie » comme un savoir oscillant entre le passé et ses résidus, sorte de revenance épistémologique impliquant une interprétation productrice, Thomas Voltzenlogel, Professeur de théorie de l’art et dramaturgie à la Haute école des arts du Rhin à Strasbourg, propose une étude très complète consacrée à l’œuvre non moins féconde d’Harun Farocki. L’intérêt de cet ouvrage tient à la fois à son apport théorique et à la portée analytique de sa réflexion. À partir de différentes productions du réalisateur allemand (Jeder ein Berliner Kindl [1966] ; La Division de tous les jours [1970] ; Entre deux guerres [1978] ; Images du monde et inscription de la guerre [1989] ; Tel qu’on le voit [1986]…), l’auteur propose un discours plus général sur le cinéma. L’inscription du parcours de Farocki « dans une trajectoire historique de la critique de l’art, des médias et du cinéma » permet de redéfinir un régime de production et d’appréhension des images en mouvement. Cet esprit se fonde sur une méthodologie de travail qui découvre dans l’écart la possibilité de déconstruire l’homogénéité des représentations dominantes n’assurant aucune distance apte à stimuler l’intelligence du spectateur. Cet aspect se matérialise concrètement à travers l’engagement du cinéaste contre la guerre du Vietnam que Voltzenlogel envisage à travers une analyse comparative (The Big Shave et Taxi Driver de Martin Scorsese, Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, Full Metal Jacket de Stanley Kubrick) qui permet de valoriser l’originalité de sa pratique et de son approche artistico-politique. La sensibilité qui émane de son œuvre se décline à travers l’adoption d’une attitude intellectuelle que l’auteur accompagne par sa propre conceptualisation.
Se réclamant de l’historiographie de Jacques Derrida et de l’étude figurale de Jean-François Lyotard, mais aussi de l’iconologie d’Aby Warburg et de la théorie marxiste, la pensée de Voltzenlogel se veut rigoureuse et s’avère souvent stimulante. On regrette cependant que l’auteur peine à se détacher d’une certaine méthode de pensée dont l’actualité s’avère sujette à caution.
Si l’emprise du « visuel » décrite par Serge Daney dans les années 1980 demeure un axe de recherche viable pour aborder notre nouveau rapport aux images médiatiques, la pensée critique voulant que le spectateur soit condamné au silence ou à la censure ne paraît plus vraiment notable à l’ère de la fausse démocratisation des jugements permise par les réseaux sociaux (on renverra sur ce point à l’excellente étude de François Jost, La méchanceté en actes à l’ère numérique, parue en 2018 aux éditions du CNRS). Ce petit écart (pour rebondir sur la taxinomie de l’auteur) mis à part, l’ouvrage s’offre comme une étude dont la solidité théorique (secondée par une riche bibliographie) et la qualité des analyses souvent lumineuses confirment l’indéniable intérêt que l’on doit lui porter.
- HARUN FAROCKI : UNE HANTOLOGIE DU CINÉMA
- Auteur : Thomas Voltzenlogel
- Éditions : UGA
- Collection : Cinéma, émergences-résurgences
- Date de parution : 13 mai 2021
- Langues : Français uniquement
- Format : 252 pages
- Tarifs : 25 €