Synopsis : Pour sauver sa ferme de la faillite, une mère de famille célibataire se lance dans un élevage de sauterelles comestibles risqué et développe avec elles un étrange lien obsessionnel. Elle doit faire face à l’hostilité des paysans de la région et de ses enfants qui ne la reconnaissent plus.
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Quand on parle du septième art français, ce qui vient généralement à l’esprit c’est le film d’auteur ou la comédie. Pourtant, ces dernières années, le cinéma de genre semble revenir au goût du jour et inspirer de nouvelles générations de réalisateurs, comme ce fut le cas avec Grave de Julia Ducournau. Les temps sont durs pour Virginie (Suliane Brahim), éleveuse… Éleveuse, elle l’est à double titre. D’abord, en tant que mère célibataire, puisqu’elle élève seule ses deux enfants, Laura (Marie Narbonne) et Gaston (Raphael Romand). Ensuite, par son activité professionnelle, un élevage de sauterelles comestibles, destinées à produire de la farine animale. Just Philippot signe ici son premier long-métrage. Venu à la fois du documentaire et du court-métrage, son univers est à la croisée des chemins du social et du fantastique. Pour cette Å“uvre, il a fait confiance au travail de deux scénaristes, Jérôme de Genevray et Franck Victor, dont il a apprécié le script, proche des thématiques de son précédent opus, Acide, qui avait remporté un vif succès en festivals. Dès les premières images, la situation, et plus exactement le décor, est parfaitement bien planté. Devant une jolie ferme, nichée au cÅ“ur d’un paysage bucolique du Lot-et-Garonne, trône un dôme géodésique, sorte d’excroissance artificielle et incongrue qui gâche la vue champêtre. Cette serre opaque où fourmille une nuée de sauterelles est le gagne-pain de la famille.
C’est par ce dispositif de mise en scène, au sens littéral du terme, que les éléments dramatiques du récit sont exposés sous nos yeux. Virginie est courageuse. Elle s’est lancée seule dans cette entreprise innovante, cette agriculture du futur, alliant écologie et progrès alimentaire. Elle est persuadée du bien-fondé de son élevage d’insectes comestibles, un secteur propre, peu néfaste pour la planète. En tant que pionnière, elle pense en retirer un certain bénéfice économique. Hélas, le rendement n’est pas au rendez-vous et l’aventure de Virginie risque de tourner court. Jusqu’au jour où les sauterelles, telles des vampires se nourrissent de son sang, se développent miraculeusement. Elles mutent, deviennent plus productives mais aussi carnivores et Virginie voit son chiffre d’affaires enfin décoller. Et c’est là que tout bascule.
De facture classique et s’appuyant sur une esthétique réaliste où la vie agricole est décrite avec minutie, les dérèglements s’insinuent peu à peu et distillent un malaise qui ne cesse d’augmenter. Comme pour Les Oiseaux d’Hitchcock, une des références du réalisateur pour la conception de son projet, le surnaturel prend le pas sur le quotidien, devenu menaçant, telle cette nuée incontrôlable qui envahit tout l’écran. Les effets visuels quasi-invisibles laissent l’horreur émaner d’un réel déréglé. La Nuée est aussi une métaphore de la course au rendement, de la surexploitation des ressources naturelles vivantes et de la pression économique à laquelle doit faire face Virginie, obsédée par ses sauterelles, au point d’en négliger son entourage que dénonce ici le réalisateur.
La qualité de cette tragédie familiale fantastique, sélectionnée à la Semaine de la Critique à Cannes en 2020 et récompensée par le Prix du Public et Prix de la Critique au Festival de Gérardmer, doit beaucoup à la qualité de son écriture, dont la progression dramatique graduée démontre l’engrenage et le processus maléfiques qui s’intensifient et font basculer toute une famille dans l’horreur.
Hélène Joly
- LA NUÉE
- Sortie salles : 16 juin 2021
- Réalisation : Just Philippot
- Avec : Suliane Brahim, Sofian Khammes, Marie Narbonne, Raphael Romand, Victor Bonnel, Vincent Deniard, Guillaume Bursztyn, Stéphan Castang, Clément Bertani, Christian Bouillette
- Scénario : Jérôme Genevray et Franck Victor
- Production : Thierry Lounas, Manuel Chiche
- Photographie : Romain Carcanade
- Montage : Pierre DeschampsÂ
- Décors : Margaux Mémain
- Costumes : Charlotte Richard
- Musique : Vincent Cahay
- Distribution : Capricci Films – The Jokers Films – Les Bookmakers
- Durée : 1h40