Synopsis : Deux ans après le décès de son époux, Lisey, à la suite d’une série d’événements, doit faire face à certaines réalités de son mari qu’elle avait occultées.
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Histoire de Lisey se goûte comme un onctueux cauchemar. C’est en effet par sa douceur que la minisérie de Pablo LarraÃn marque d’abord les esprits. Profitant de la durée dilatée du format sériel, le réalisateur chilien tempère avec talent les effets du récit de Stephen King qui a lui-même signé l’adaptation de son roman, prouvant une fois encore que son Å“uvre se prête parfaitement aux dimensions du petit écran. Le réalisateur chilien privilégie donc l’envoûtement sur la sidération pure, valorisant les problématiques souterraines qui animent la plupart des écrits du romancier américain. Les thématiques du deuil ou de l’aliénation mentale affectent durablement l’orientation dramaturgique et scénographique de l’œuvre audio-visuelle, se déclinant à travers les longs mouvements d’appareils et les gros plans magnifiquement composés qui structurent son développement. La photographie de Darius Khondji verbalise visuellement ce mouvement sans cesse entravé qui empêche l’épanouissement de Lisey Landon (Julianne Moore), marquée par le meurtre de son époux (Clive Owens), célèbre écrivain à la personnalité trouble. Les tonalités douces et claires de l’image amplifient le basculement vers l’obscurité qui façonna l’imaginaire du défunt. Là encore l’horreur avance à pas de loup, de façon graduelle ou ponctuelle. C’est un plan ou un motif en particulier qui constituent les spectres de ce passage, s’infiltrant progressivement à l’intérieur de la mélancolie ambiante.
Dès la première séquence du premier épisode, le style de LarraÃn est immédiatement identifiable. Le regard perdu de Julianne Moore semble magnétiser la caméra comme celui de Natalie Portman dans Jackie (2017). Le cinéaste confirme son goût pour les grandes actrices et sa capacité à magnifier leurs traits et leur jeu. S’inscrivant dans la longue tradition des women’s directors, LarraÃn assoit sa maîtrise du cadre à travers une démarche poétique nourrie de l’intérieur par une pulsion… de vie ou de mort.
La force de la minisérie est alors de parvenir à concilier l’approche du réalisateur avec celle du romancier. Histoire de Lisey retrouve en effet l’ensemble des tropes de l’univers de King : l’écrivain torturé, les thématiques de la célébrité et de la médiatisation, la relation maritale dont la façade s’écaille et révèle les non-dits d’un passé traumatique. Il y a enfin le goût persistant de l’écrivain pour l’outre-monde de la science-fiction. Son univers s’oriente ici du côté des fantaisies macabres et esthétiques de Lovecraft. Le monstrueux qui grandit dans le cœur des hommes finit par prendre une forme littérale et il faut féliciter la mesure dont fait preuve la minisérie dans son usage des images de synthèse. Car si celles-ci permettent bien de matérialiser l’éloquence de l’imaginaire propre à l’écriture de King, leurs constructions privilégient le contraste sur les fréquents écarts de la saturation et du clinquant.
Histoire de Lisey retrouve en définitive la fonction du buvard. Absorbant la manière de l’œuvre manuscrite, la série recompose sa forme selon une orientation nouvelle, tandis que ses personnage naviguent sur l’encre de visions qui semblent toujours les préparer au naufrage. Certaines œuvres se dévorent sans satisfaire les papilles du regard, celle-ci invite à la délectation.
- HISTOIRE DE LISEY (Lisey’s story)
- Diffusion : depuis le 4 juin 2021
- Plateforme / Chaîne : Apple TV +
- Réalisateur : Pablo LarraÃn
- Avec : Julianne Moore, Clive Owen, Jennifer Jason Leigh, Dane DeHaan, Joan Allen, Sung Kang, Ron Cephas, Michael Pitt, Sebastian Eugene Hansen, Claire Keane, Clark Furlong, Giovanni Celentano, Anastasia Veronica Lee, Ariana Jalia, Jonathan Rayson
- Scénario : Stephen King (adapté de son roman Lisey’s story)
- Producteurs : Andrew Balek
- Photographie : Darius Khondji
- Montage : Cédric Nairn-Smith et Sebastian Sepulveda
- Durée : 8 épisodes de 50 à 52 minutes